La BCE prend moins de risques à agir maintenant

En attendant trop, la Banque centrale européenne pourrait être obligée de relever ses taux en pleine récession. L’analyse de Florence Pisani, directrice de la recherche économique, Candriam.
Florence Pisani
. Florence Pisani, directrice de la recherche économique, Candriam
Florence Pisani, directrice de la recherche économique, Candriam.  - 

Que la Réserve fédérale continue de relever son taux directeur à grands pas ne doit pas surprendre : la croissance a certes ralenti aux Etats-Unis, mais le marché du travail reste tendu, les salaires ne décélèrent que timidement et l’inflation est nettement plus élevée qu’escompté. Les loyers en particulier – leur poids dans l’indice des prix à la consommation est d’environ 30% – ont sensiblement accéléré et il est peu probable qu’ils ralentissent au cours des prochains mois. La hausse des taux d’intérêt hypothécaires conjuguée à celle des prix immobiliers rend en effet l’accès à la propriété de plus en plus difficile pour la plupart des ménages et les pousse vers le marché locatif… alors même que le taux de vacance des maisons à louer est déjà très bas. Bien sûr, la banque centrale prend un risque en continuant de monter rapidement ses taux : la politique monétaire agissant avec retard sur l’activité, un atterrissage brutal de l’économie ne peut être écarté. Mais l’alternative – un dérapage des salaires et de l’inflation – serait – les années Volcker l’ont rappelé – beaucoup plus coûteux encore pour l’économie américaine.

Ce n’est toutefois pas la décision de la Réserve fédérale de maintenir le cap qui a surpris le plus les marchés, mais la tonalité étrangement similaire adoptée par les banquiers centraux de la zone euro depuis quelques semaines. Peter Kažimír, Boštjan Vasle, Klaas Knot, François Villeroy de Galhau, Mário Centeno, Joachim Nagel, Frank Elderson, Luis de Guindos, Edward Scicluna, Isabel Schnabel et Gediminas šimkus ont, tour à tour, expliqué que l’inflation sous-jacente était trop élevée et que la Banque centrale européenne (BCE) monterait ses taux tant que cette situation perdurerait. Cette communication, martelée à grand bruit, a été pour le moins efficace : les opérateurs de marché attendent désormais un taux directeur de la BCE au-dessus de 3% fin 2023, alors qu’ils semblaient convaincus début août que ce taux serait à peine supérieur à 1 %, une révision similaire dans son ampleur à celle observée aux Etats-Unis.

Menace réelle en Europe

Pourtant, les tensions sur le marché du travail sont loin d’être aussi préoccupantes dans la zone euro. Surtout, le risque de voir la croissance étouffée par la hausse du prix du gaz est nettement plus prégnant de ce côté-ci de l’Atlantique. A volumes inchangés d’importations, le maintien du prix du gaz naturel à son niveau actuel (autour de 200 euros par mégawatt-heure – MWh) jusqu’à fin 2023 provoquerait un transfert de revenu de la zone euro vers le reste du monde de plus de 5 points de PIB. Dans certains pays, comme la Belgique ou l’Italie, ce transfert pourrait même représenter plus de 7 % de leur PIB ! Bien sûr, les gouvernements ont rapidement réagi pour tenter de limiter le prélèvement, notamment sur le pouvoir d’achat des ménages. La taille des programmes annoncés – de 1 à 3 points de PIB selon les pays – est loin toutefois de compenser la totalité du choc énergétique qui se dessine : si le prix du gaz ne retombe pas nettement sous les 200 euros/MWh, la dépense privée hors énergie a de grandes chances de se contracter… et la zone euro de tomber en récession.

Pourquoi alors relever les taux à marche forcée alors que la menace d’une récession est réelle ? La BCE prend moins de risques à agir maintenant plutôt qu’à attendre de longs mois que l’horizon se dégage. Le plus délicat serait pour elle de se trouver demain avec des taux encore bas, confrontée à une inflation toujours élevée et à une économie entrée en récession. Elle aurait alors le choix entre maintenir ses taux bas et prendre le risque de voir les anticipations d’inflation déraper ou accélérer ses hausses en pleine récession et se heurter, à l’instar de Paul Volcker au début des années 1980, à la pression politique mais aussi à la colère de la rue : celle d’agriculteurs qui manifestèrent leur mécontentement devant les portes de la Réserve fédérale, de familles qui écrivirent des lettres pour dire à Paul Volcker qu’elles avaient économisé pendant de nombreuses années pour acheter une maison mais devaient renoncer à leurs projets à cause des taux élevés… ou encore celle de concessionnaires automobiles, particulièrement touchés par les taux d’intérêt élevés, qui lui envoyèrent des cercueils contenant les clés des véhicules invendus ! En d’autres termes, il paraît assez sage pour la BCE de faire sienne la maxime évoquée par Jerome Powell lors de sa conférence de presse le 21 septembre dernier – « hope for the best, prepare for the worst » – et de continuer à monter ses taux au cours des prochains mois… quitte à les baisser plus tard si cela se révélait nécessaire !

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