
La BCE laisse filer les taux des emprunts d’Etat

Le prix à payer pour la normalisation monétaire», résumait mardi Frederik Ducrozet, stratégiste chez Pictet WM. Les taux souverains à 10 ans en zone euro atteignaient des niveaux inédits depuis près de trois ans : 0,27% pour l’Allemagne ; 0,42% pour les Pays-Bas ; 0,72% pour la France ; 1,07% pour le Portugal ; 1,14% pour l’Espagne ; 1,90% pour l’Italie ; 2,48% pour la Grèce…
Lundi, devant la commission des Affaires économiques et monétairesdu Parlementeuropéen, tout comme le 3 février après la réunion de politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE), la présidente Christine Lagarde a insisté sur les risques d’inflation orientés à la hausse. Elle a alimenté les prévisions d’un relèvement des taux de 25 points de base (pb) cette année - les marchés de swaps en valorisent deux. Dimanche, le gouverneur néerlandais Klaas Knot avait plaidé aussi pour une fin accélérée des programmes d’achats d’actifs (PEPP et APP) pour permettre cette hausse de taux au quatrième trimestre. «Le timing semble un peu serré, et dans l’ensemble, nous pensons que le programme d’achats régulier (APP, 20 milliards d’euros par mois) se terminera à la fin du troisième trimestre, pour une première hausse de taux en décembre», indique Frederik Ducrozet. La réunion du 10 mars devrait alors engager une révision du programme préciséle 16 décembre dernier.
Risques autour de 3%
Face à ces perspectives, les marchés ont vendu les bons du Trésor. «La réaction est à la fois compréhensible et impressionnante, mais la hausse des spreads est uniquement due à la prime de risque et proportionnelle au bêta des titres concernés, sans risque idiosyncratique apparent», note Stéphane Deo, directeur stratégie de marchés d’Ostrum AM. Il constate une corrélation stable entre les différents taux souverains de la zone euro d’une semaine sur l’autre. Même la hausse de l’écart Bund-BTP, passé de 135 à près de 165 pb entre les rendements de la dette allemande et itlaienne, est conforme.
Des risques spécifiques pourraient toutefois réapparaître assez rapidement, qu’ils soient politiquesen Italie avec les élections en 2023 ou liés à la soutenabilité de la dette/PIB. Ce ratio atteint 156% pour l’Italie et 206% pour la Grèce. Ils poseraient d’autant plus problème que le filet de sécurité des achats de la BCE aura disparu pour les pays périphériques.
«Le seuil de douleur toléré nous semble relativement élevé. En termes absolus, les rendements obligataires, les spreads et les coûts moyens de financement souverain de la zone euro restent historiquement bas, poursuit Frederik Ducrozet. Cela dit, en partant d’un territoire négatif, la réévaluation des taux suit un processus non linéaire, qui peut conduire à un resserrement injustifié, voire à une nouvelle fragmentation financière à laquelle la banque centrale devrait éventuellement faire face.»
Le marché des dettes périphériques va devoir s’adapter à la réalité d’un nouveau monde. Les achats de la BCE, qui portaient sur 100% de l’offre nette de dette italienne en 2021, devraient chuter à 60% en 2022 et probablement 0% en 2023, même si les réinvestissements du PEPP pourront atténuer les risques.
La «zone dangereuse» pour les BTP italiens à 10 ans commencerait au-dessus de 2,50%, voire plutôt autour de 3%. «C’est à partir de là, comme lors de la crise politique italienne de 2018, que les marchés peuvent prendre peur et que l’écartement du spread, en renchérissant le service de la dette, entraîne un phénomène auto-entretenu, analyse Stéphane Déo. Mais nous n’y sommes pas. Les subventions et les prêts du plan NextGen EU vont réduire les besoins d’émissions nettes de l’Italie et augmenter le contrôle européen.» Le stratégiste de LBP AM rappelle que «le service de la dette italienne sur tout le stock atteignait 2,1% en 2021 alors que le pays émet plutôt autour de 1% toutes maturités confondues : les nouveaux taux d’emprunt devraient rester inférieurs au taux historique apparentencore un moment.»
La banque centrale peut même considérer la remontée des taux longs comme une bonne nouvelle si elle les replace au niveau où les marchés les considèrent en phase avec la croissance à moyen-long terme. Cela lui permettrait d’envisager la hausse des taux courts sans le risque d’aplatissement ou d’inversion de la courbe, phénomène annonciateur de récession à venir.
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