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Finance et fossiles: un couple en instance de séparation

Le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) l’a rappelé dans la synthèse de son sixième rapport d’évaluation, publiée le 20 mars dernier : alors que les flux financiers en faveur des énergies fossiles demeurent plus importants que pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, la réduction drastique de la demande en énergies fossiles et le déploiement de technologies bas carbone constituent des impératifs à horizon 2030. Dans ce contexte, la place financière de Paris joue-t-elle un rôle dans la poursuite du développement des énergies fossiles ? L’Observatoire de la finance durable (OFD) tente de répondre à cette question fondamentale, à l’aide d’indicateurs de transparence et de la publication de données sur un site dédié.
En effet, la décarbonation du système énergétique occupe une place cruciale dans la transition (AIE, GIEC). C’est ce qui a été rappelé, le 20 mars 2023 à Bruxelles, par l’association «Fossil Fuel Non-Proliferation», qui regroupe de nombreux Prix Nobel, scientifiques, ONG, villes et parlementaires européens, lors d’une réunion des ministres de l’Energie. Certes, l’effort pour atteindre l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050 est particulièrement important, dans la mesure où les sources fossiles d’énergie restent majoritaires dans le mix actuel, de l’ordre de 80% à l’échelle globale. La transparence du financement des énergies fossiles demeure dès lors une condition sine qua non à l’alignement des flux de capitaux sur une trajectoire bas carbone. Le secteur financier doit non seulement diminuer son exposition à ces énergies, mais aussi anticiper l’impact de la nécessaire sortie des actifs dans les secteurs du pétrole, gaz, et charbon (phase-out).
L’or des données
Dans ce contexte, à des fins de conception de politiques publiques, de supervision financière et de contrôle des pratiques de greenwashing, il est utile de comprendre quel est le positionnement de la place de Paris. Les indicateurs présentés par l’OFD offrent une base qui permet d’avancer vers une telle transparence, grâce à une présentation des données financières, collectées par les fédérations professionnelles de la place : la Fédération Bancaire Française (FBF), France Assureurs (FA), l’Association française de la gestion financière (AFG), l’Association française des sociétés financières (ASF) et France Invest (FI).
Ces données, suffisamment complétées, permettraient dès lors concrètement de comprendre l’évolution du soutien financier aux énergies fossiles par le secteur financier. Le Comité scientifique et d’expertise (CSE) a ainsi évalué les publications actuelles de l’OFD, aboutissant à un constat de faiblesse, tant sur l’organisation et la compréhension des indicateurs que sur leur degré de précision.
Cette analyse a abouti à deux séries de recommandations à l’attention des fédérations professionnelles, sur le financement de l’industrie charbonnière et sur celui de l’industrie pétrogazière.
A lire aussi: Recommandations 2023 du Comité Scientifique et d’Expertise portant sur le charbon, le pétrole et le gaz
Délicat charbon
Pour le charbon, ces propositions viennent renforcer celles déjà publiées en février 2021. Une transparence irréprochable sur les financements effectués dans ce secteur constitue une urgence absolue, dans un contexte de croissance de la production et de la consommation dans le monde en raison, notamment, de la crise énergétique issue de la guerre en Ukraine. En outre, le secteur charbonnier doit voir la fermeture de l’ensemble des infrastructures (extraction des matières premières et centrales de production d’électricité à partir de charbon) à horizon 2030 dans l’Union européenne et les pays de l’OCDE, et à horizon 2040 dans le reste du monde, pour respecter un scénario de réchauffement de 1,5°C. A ce titre, le CSE recommande la publication de données précises, lisibles, exhaustives et comparables sur les expositions au charbon, les caractéristiques des politiques sectorielles et leur application, ainsi que les critères de sortie effective (et juste) du secteur.
S’agissant du financement de l’industrie pétrogazière, le CSE a souhaité réviser et étendre ses propositions de septembre 2021, qui s’étaient alors concentrées sur les énergies non conventionnelles et avaient ainsi contribué à jeter la lumière sur les impératifs de financement de la transition de cette industrie.
L’arrêt du financement de nouvelles capacités de production de pétrole et gaz (AIE, 2021 et 2022*) dans l’ensemble du secteur est en effet un impératif fixé par l’AIE dans son scénario «net zéro» à horizon 2050. Or, les évolutions de la politique énergétique mondiale dans un contexte marqué par l’invasion russe de l’Ukraine et son impact sur la sécurité énergétique européenne ont renforcé des tendances de financement de l’industrie en hausse, et donc de risques accrus d’actifs échoués associés.
Aussi, le CSE a souhaité – pour l’ensemble des pétroles et gaz – recommander la publication de données financières plus exhaustives, pertinentes et harmonisées sur l’exposition au secteur pétrogazier, notamment sur les projets controversés (nouveaux projets et non conventionnels), ainsi que sur les trajectoires de décarbonation des acteurs, tout le long de la chaîne de valeur et dans une approche d’accompagnement effectif de la transition.
A lire aussi: Risque climatique : l’Europe doit être plus exigeante avec le secteur financier
La publication de telles informations, substantiellement améliorées par rapport à l’existant, doit permettre de suivre l’évolution de l’exposition globale des acteurs de la place de Paris aux énergies fossiles, enjeu incontournable dans une perspective d’alignement de la place sur une trajectoire bas carbone. Ces recommandations sont par ailleurs cohérentes avec celles exprimées dans le rapport conjoint de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et de l’Autorité des marchés financiers (AMF) publié en octobre 2022.
Ces recommandations peuvent majoritairement entrer en application dès 2023, les fédérations professionnelles pouvant les intégrer dans leurs questionnaires annuels respectifs dès à présent, afin de nourrir les futures données de l’Observatoire. Bien qu’il s’agisse principalement d’un exercice de transparence, et non d’une obligation quelconque d’alignement effectif, l’Observatoire participe ainsi à une responsabilisation de l’ensemble des acteurs de la place quant à la condition sine qua non de la transition : celle d’un accompagnement robuste, mesurable, et effectif de la transition du secteur de l’énergie.
Notes
*pp. 78-81
A propos des auteurs :
Anna Creti, Charlotte Gardes-Landolfini, Guillaume Neveux, Lucie Pinson, Stéphane Voisin sont membres du Comité scientifique et d’expertise (CSE) de l’Observatoire de la Finance Durable. Christian Nicol en est le coordinateur.
Amaury de Balincourt est membre de l’Observatoire de la Finance Durable.
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