Draghi et la montagne des tabous nationaux

Le rapport de Mario Draghi sur la compétitivité de l’Europe est aussi salutaire que complexe à mettre en œuvre. L'éditorial d’Alexandre Garabedian.
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Alexandre Garabedian, directeur de la rédaction de L'Agefi  - 

Il fallait bien 400 pages pour dresser la liste des défis qui se posent à une Europe en mal de compétitivité et de croissance. Mario Draghi l’a fait, et rappelle une vérité parfois oubliée en France : sans création de richesse, les valeurs et la grandeur d’un pays ou d’un continent sont vite ravalées au rang de figure rhétorique.

L’ambition est louable, mais la montagne à gravir intimidante. Dans chacun des chapitres du rapport de l’ancien banquier central se lisent les contradictions fondamentales du projet européen et de sa gouvernance. Entre dirigisme et libéralisme, soutien à l’innovation et bureaucratie réglementaire, subsidiarité ou mutualisation, le chemin de crête est étroit. Et parce que les Etats membres jouent naturellement la carte nationale, des projets aussi nécessaires que l’Union des marchés de capitaux restent embourbés depuis dix ans dans les sables de Bruxelles.

Le rapport Draghi fourmille ainsi de propositions dont il est à craindre qu’elles ne se fracassent sur l’impéritie des gouvernements. Prenons l’exemple des retraites. Pour rendre plus productive l’abondante épargne des ménages, le «sauveur de l’euro» préconise de généraliser les fonds de pension collectifs. Ce deuxième pilier d’un système qui peut en compter trois, avec les régimes de base et complémentaires, d’un côté, et la prévoyance individuelle et facultative, de l’autre, ne pèse qu’un tiers du produit intérieur brut dans l’UE. C’est le triple au Royaume-Uni et plus du quadruple aux Etats-Unis, où une bonne part s’investit en actions d’entreprises.

On n’ose imaginer les cris d’orfraie qu’une telle proposition provoquerait à Paris. Les fonds de pension y sont jugés indignes, bien que l’Etat en ait curieusement réservé un, l’Erafp, aux agents de la fonction publique. L’option d’une dose de capitalisation collective n’a jamais été envisagée dans la dernière réforme des retraites, ni d’ailleurs dans la précédente, sans qu’elles en soient devenues plus populaires. Il y aurait pourtant matière, a minima, à mener un débat que les économistes ont engagé de longue date sur les coûts et les bénéfices d’un tel régime.

La période s’y prête d’autant plus que les dernières générations, démographie oblige, ne se font guère d’illusions sur la capacité du régime de retraite par répartition à couvrir, seul, les futures pensions. Et que le coût de ce régime, chaque année plus lourd et concentré sur les actifs en l’absence de participation des retraités à l’effort de rétablissement des comptes, explique une part de la dérive structurelle des finances publiques françaises. Mais aucun locataire de l’Elysée ni de Matignon ne se risquera à regarder l’éléphant dans la pièce. Des tabous comme celui-là, combien faudra-t-il en lever à l’échelle du continent pour que le rapport Draghi soit suivi d’effet ?

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