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Dollar, yuan ou euro : les entreprises décideront, pas les Etats

Le 22 mars dernier, le président russe Vladimir Poutine profitait de la visite de son homologue chinois Xi Jinping pour annoncer privilégier le yuan comme devise de facturation dans ses échanges commerciaux avec l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine. Quelques jours plus tard, c’était au tour du Brésil, de l’Arabie saoudite et des pays de l’ASEAN de faire des annonces similaires. En soi, ces déclarations sont logiques : elles reflètent les liens commerciaux plus étroits entre les grandes économies émergentes, la Chine étant désormais la première destination des exportations russes et brésiliennes. Elle représente quasiment un cinquième du PIB mondial, contre seulement 4% en 2000. Les Brics dans leur ensemble pèsent désormais légèrement plus que les Etats-Unis (25%). Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’ils affirment leur volonté de s’émanciper du système financier international centré sur le dollar : ils l’avaient déjà clamé haut et fort lors de la crise des subprimes, premier révélateur des faiblesses américaines.
Malgré ces effets d’annonce, son rôle pivot n’a pas beaucoup changé depuis cette époque : 58% des réserves de change des banques centrales sont libellées en dollar (contre moins de 3% pour le yuan), en recul de seulement 5 points depuis 2008. Le billet vert reste la devise de référence pour les prêts bancaires transfrontaliers (53%) ou encore les émissions d’obligations libellées en devise étrangère. Le dollar est aussi la devise choisie pour la facturation d’environ la moitié des transactions de commerce international. Et 45% des paiements mondiaux effectués en utilisant le système de messagerie Swift sont en dollars.
Instrument de sanction
L’utilisation de ce système par les autorités américaines comme un instrument de sanction à l’encontre de pays ennemis (Iran, Russie) fait justement partie des raisons poussant de nombreux pays à afficher ouvertement cette volonté de changement. Plus généralement, les risques associés à l’exposition à une devise étrangère sont identifiés depuis très longtemps : l’économiste américain Barry Eichengreen soulignait il y a plus de vingt ans que les économies émergentes se distinguaient des avancées par leur incapacité à émettre des obligations dans leur devise, leur «péché originel». L’augmentation de la valeur de leur dette en période de dollar fort était ainsi l’une des causes des crises émergentes des années 1980 et 1990.
Mais si ces bénéfices attendus sont évidents, pourquoi le dollar a-t-il conservé ce rôle central jusqu’ici ? D’abord, parce que ces stratégies de long terme visant à limiter l’exposition au billet vert se heurtent souvent aux réalités de court terme : en temps de crise, la réaction épidermique consiste à privilégier les actifs considérés, à tort ou à raison, comme des valeurs refuges. Les nombreuses lignes de swap ouvertes par la Fed avec d’autres banques centrales confirment l’intérêt mondial persistant pour le dollar, qui atteignait son plus haut niveau depuis plus de vingt ans à l’automne dernier. Or, ces crises sont de plus en plus fréquentes : Covid-19 en 2020, guerre en Ukraine en 2022, risque de crise bancaire en 2023.
A lire aussi: Changes : le dollar mène la danse
Ensuite, les alternatives au dollar ne sont pas légion en dehors de l’euro. Le yuan pâtit des contradictions des autorités chinoises, qui suivent deux objectifs incompatibles : d’un côté, maintenir un niveau de contrôle élevé sur l’économie et, de l’autre, internationaliser le renminbi pour en faire, comme les Etats-Unis, un instrument de puissance. Les contrôles de capitaux restent en effet un frein à son essor. Malgré une libéralisation graduelle depuis la fin du régime de change fixe en 2005, l’ampleur des fluctuations de la devise chinoise reste limitée quotidiennement. Et si les achats d’actions et d’obligations locales par des étrangers ont été facilités, ces marchés ne sont pas aussi liquides que les places américaines. Moins de 10% des obligations d’Etat chinoises sont aujourd’hui détenues par des étrangers, 3 à 4 fois moins qu’aux Etats-Unis et en Europe. En 2022, les investisseurs étrangers continuaient d’être soumis à des contraintes fortes (interdiction, quotas…) dans 31 secteurs d’activité en Chine. Sans compter que la «reprise en main» récente par les autorités chinoises de plusieurs conglomérats (dont Alibaba) est un signal négatif envoyé aux investisseurs potentiels, qui favorisent les cadres des affaires stables sur le long terme. Ces contrôles de capitaux limitent la capacité à transférer un investissement rapidement au juste prix, même si la banque centrale chinoise a ouvert des lignes de swap avec une quarantaine de ses homologues d’autres pays pour convaincre les investisseurs étrangers hésitants.
En définitive, en dépit de ces nombreuses annonces politiques récentes, il reviendra aux entreprises du monde entier de faire leur choix de devise. Dans un monde de plus en plus multipolaire, celui-ci n’a rien d’évident. Beaucoup pourraient donc préférer ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier.
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