Dissonance cognitive et apathie financière

Vincent Chaigneau, directeur de la recherche chez Generali Investments, livre ses recommandations en termes d’allocation, dans un contexte économique particulièrement complexe à analyser.
Generali Investments
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Vincent Chaigneau  -  Photo RVThouroude

S’achève un deuxième trimestre qui, outre l’engouement pour l’intelligence artificielle (AI) qui profite aux indices boursiers américains, est marqué par une forme d’assoupissement des marchés financiers, anesthésiés par des forces opposées qui entretiennent l’espoir d’un scenario moyen, c’est-à-dire une désinflation sans récession.

Les marchés ont bien digéré la crise des banques régionales américaines qui, mi-mars, laissait craindre un trimestre chahuté. Ces forces opposées se retrouvent dans les dynamiques de croissance et d’inflation, et jusqu’aux marchés d’actions.

La dynamique de croissance s’essouffle

L'économie globale a plutôt mieux résisté que prévu pour l’instant, une idée validée par la saison des résultats d’entreprises pour le 1er trimestre. Deux bémols toutefois. Tout d’abord, les résultats profitent en partie du phénomène de « greedflation » (entreprises prenant avantage du contexte inflationniste pour protéger, voire gonfler leurs marges).

Ensuite, les PIB donnent quand même des signes de faiblesse : +1,3% annualisé seulement pour le premier trimestre aux Etats-Unis, -0,1% en zone euro (récession technique après -0.1% déjà en T4) et une reprise chinoise plutôt décevante. L’activité économique est par ailleurs très contrastée, le secteur manufacturier étant en récession des deux côtés de l’Atlantique, tandis que les services font mieux que résister. L'écart entre les indices PMI euro des services et du secteur manufacturier a dépassé les 10 points en mai ! On peut expliquer cette divergence par la hausse des rendements longs (immobilier et achats de biens durables en berne), une revanche post-Covid (voyages, loisirs) et l’excès d'épargne accumulée pendant la pandémie, mais elle ne pourra pas durer. A considérer le durcissement des conditions de crédit et l’accalmie progressive de l’emploi, il fait peu de doute que l’activité dans les services va se tasser. Le secteur manufacturier ne donne lui pas de signe précurseur de reprise (commandes en baisse, commerce international atone).

L’inflation est en voie de normalisation

La normalisation spectaculaire de la chaîne d’approvisionnement globale et la baisse de la demande produisent des forces désinflationnistes puissantes du côté des biens. La baisse régulière du prix des matières premières depuis l’été 2022 va dans le même sens. Mais l’inflation sous-jacente globale ne recule que doucement, car les prix des services (demande solide, greedflation) et les salaires (marchés de l’emploi tendus) restent vigoureux.

Nous tablons sur une normalisation progressive, à mesure que les créations d’emploi s’essoufflent, mais pour l’instant les banques centrales restent sur leurs gardes.
Considérons enfin les marchés d’actions, qui après un net rebond cet hiver, résistent bien au printemps.

Cette performance cache une forte dispersion. L’indice S&P est en hausse de 11 % cette année, mais si on équipondère ses 500 composantes de seulement 2%. Les valeurs technologiques ont en effet tiré l’indice. La dispersion est moins forte en zone euro, mais la performance du STOXX600 sur les 3 derniers mois est soutenue par les valeurs défensives (santé, utilités), la technologie et le secteur du voyage et des loisirs, tandis que certains secteurs cycliques souffrent (ressources basiques, immobilier, banques, énergie).

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Ces forces contraires créent une certaine apathie, qui s’accompagne d’une baisse des volatilités implicites, notamment sur les actifs risqués tels que le crédit (crossover) et les indices actions. Celle-ci alimente les achats par les fonds systématiques et plus généralement l’appétit pour les stratégies de portage (carry trades) : par exemple les spreads High Yield (HY) se sont resserrés de plus de 100pb depuis les points hauts de mars, pour traiter en deçà des niveaux de début d’année.

Nous y voyons une certaine dissonance cognitive. Les marchés obligataires, de par l’inversion extrême des courbes de taux USD et EUR 2-5 ans, expriment l’idée de politiques monétaires restrictives et insoutenables, porteuses d’un risque de récession ; au contraire, les marchés d’actions tablent sur une reprise de la hausse des profits, et la remontée des multiples (valorisation) semble peu compatible avec l’essoufflement du cycle.

Certes, une voie moyenne existe (désinflation, atterrissage en douceur, choc de productivité), mais elle est très étroite, au milieu de deux scénarios plus tranchés. Le premier est celui d’une baisse plus violente de la demande (récession) facilitant la désinflation, et un retournement plus rapide des politiques monétaires en 2024 ; Le second voit une demande qui résiste. De quoi empêcher une normalisation rapide de l’inflation, forçant les banques centrales à remonter les taux au-delà des anticipations du marché (5,50% pour la Fed, 3,75% pour la BCE).

Cette dissonance se traduit par une déconnexion inhabituelle entre conditions de crédit (restrictives) et conditions financières (accommodantes), entre le bilan des banques centrales (qui se réduit) et la performance des marchés d’actions (positive), entre les spreads HY et les indices de sentiment économique (qui rechutent), entre les multiples actions (en hausse) et les taux longs réels (qui refusent de baisser).

Le marché nous semble sous-estimer l’effet du ‘credit crunch’ en cours, qui se traduit déjà par une hausse des défaillances d’entreprises et des taux de défaut sur les prêts à la consommation et auto aux Etats-Unis. Nous recommandons une allocation d’actifs plutôt défensive, sans négliger toutefois le portage sur les crédits moins risqués : quasi-souverains, dette souveraine périphérique EUR (spreads pays profitant de la surperformance économique de l’Europe du sud par rapport à l’Allemagne), EM souverains IG en dollar, crédit IG non-financier.

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