Détricoter les règles sur la finance verte est une fausse bonne idée

Dans cette tribune, Pervenche Berès, la présidente de l’association Europe-Finances-Régulations (AEFR), et Nicolas Mottis, professeur à Polytechnique, mettent en garde contre une simplification trop radicale des réglementations européennes sur le développement durable.
Présidente de l’AEFR
Professeur à l’Ecole polytechnique
verte
Rien ne justifie de sacrifier les progrès accomplis ces dernières années en matière de transition vers un environnement durable  - 

«Une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu’une idée vraie, mais complexe», cette phrase de Tocqueville dans «De la démocratie en Amérique» s’applique assez bien aux évolutions discutées actuellement au niveau européen sur la réglementation du développement durable, notamment composée de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDDD), ou encore la Taxonomie.

L’idée n’est bien sûr pas de plaider pour la complexité. Beaucoup de réglementations ont déjà fait leurs preuves dans ce domaine. Mais au moment où la Commission européenne a mis sur la table des négociations une proposition appelée Omnibus, au nom de la simplification et de la compétitivité, il faut s’interroger sur les effets des discours et des options actuels sur un domaine qui représente des enjeux critiques pour le monde et sur lequel l’Union européenne a, au fil des dernières décennies, joué un rôle de leader et développé des positions exemplaires.

Nul ne peut nier aujourd’hui les effets majeurs à venir, à un horizon qui se rapproche rapidement, du changement climatique et de toute une série de phénomènes (surexploitation des ressources naturelles, réduction de la biodiversité, non-respect des droits humains, etc.), qui vont rendre la vie sur Terre assez difficile pour les prochaines générations. C’est peut-être moins à la mode d’en parler, mais les problèmes demeurent.

En particulier, l’Europe a développé des modalités de gouvernance d’entreprise qui fixent pour objectif d’intégrer ces effets dans une double dimension - sur l’entreprise elle-même et sur son environnement à travers ses activités – ce que l’on nomme “la double matérialité”. Cela percute la vision anglo-saxonne qui se préoccupe uniquement des business models des entreprises et des risques qu’elles encourent en considérant par ailleurs que si elles respectent la loi, c’est finalement uniquement à cette loi de définir des règles qui intègrent les enjeux de transition (et sans vraiment tenir compte du fait que cette loi est souvent capturée par des lobbys industriels très puissants…).

La France notamment a été en pointe sur ces réglementations avec toute une série de textes depuis plus de vingt ans. Ils ont eu un coût d’adaptation, mais ils ont aussi conduit les grands groupes français à occuper les premières places des classements mondiaux sur la durabilité tant pour faire la transparence sur l’impact de leur activité que pour orienter leur façon d’agir. L’effort a été utile.

Aujourd’hui, on voit monter une idée simple, qui risque de conduire à jeter le bébé avec l’eau du bain. Pourquoi ? Parce que la réglementation serait devenue “insupportable”, parce que la pensée consternante de l’administration américaine actuelle souhaite les faire disparaître ou parce que des crises géopolitiques déplacent le cœur du débat vers des sujets de souveraineté et de sécurité ? Un peu de tout cela sans doute, mais cela justifie-t-il de sacrifier les progrès accomplis ces dernières années après d’énormes efforts de nombreux acteurs économiques ou de la société civile ?

Une unité européenne nécessaire

La France a été l’une des premières à transposer la CSRD et les premiers rapports qui sortent actuellement montrent à quel point la démarche peut faire progresser. Les acteurs concernés en entreprise en sortent souvent fatigués, mais avec des résultats. Ce travail ne fait que commencer et comme toujours c’est souvent le premier pas qui coûte le plus.

Défendre, au niveau européen, une “simplification radicale”, qui conduirait à détricoter la transparence dont on a besoin pour piloter la transition vers un environnement durable ou pour analyser les risques, y compris ceux portés par le secteur financier, est une fausse bonne idée qui ruinera effort accompli et réduira le niveau d’ambition pourtant indispensable.

Créer un précédent où une législation européenne, mise en œuvre par certains Etats Membres, dont la France, serait réouverte pour être reportée et/ou modifiée sous l’impulsion de ceux qui sont en infraction pour ne pas l’avoir transposée, ouvrira une brèche dans la confiance dans le droit communautaire et soulève des questions de concurrence. Alors que les groupes français sont à l’avant-garde, avec des contraintes que d’autres n’ont pas, ce serait une seconde mauvaise idée, à une heure où l’action et l’unité européenne sont si nécessaires.

Réduire le poids de la réglementation, oui, simplifier, sûrement, mais se priver d’un coup d’avance ou laisser les entreprises françaises un peu seules en première ligne, ça se discute… courage, ne fuyons pas trop vite sur ces sujets clés que ne doivent pas occulter d’autres urgences.

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