Des semaines où des décennies se produisent

L’entrecroisement des chocs qui s’accumulent depuis quelques semaines nourrit l’incertitude, relève Vincent Chaigneau, directeur de la recherche de Generali Investments. Le 2 avril, le «liberation day» selon Trump, pourrait constituer un pic d’incertitude et de pessimisme en matière de guerre commerciale.
Generali Investments
Vincent-CHAIGNEAU-
Vincent Chaigneau directeur de la recherche de Generali Investments.  -  Photo RVThouroude

Réalise-t-on à quelle vitesse l’Histoire défile sous nos yeux ? Comme l’a remarqué Lénine, «il y a des décennies où rien ne se passe ; et des semaines où des décennies se produisent.» Le premier trimestre 2025 s’achève, et il aura été particulièrement riche. Nous proposons un rapide éclairage sur les chocs économiques et géopolitiques en cours, avant d’envisager les implications financières. Les plaques tectoniques se déplacent à au moins quatre niveaux.

L’architecture mondiale de défense et de sécurité

Les Etats-Unis, depuis l’après-guerre, sont au centre du système de défense global, et de l’Otan. Le président Trump estime que ce système s’avère coûteux, et que ce service de défense doit être réduit, qu’il n’est pas rémunéré à hauteur. On peut ne pas être d’accord, car ce rôle central a conféré au pays des avantages certains, notamment le «privilège exorbitant» associé à la domination du dollar dans le système international. Mais les Etats-Unis sont souverains en la matière.

Chez les alliés, le désengagement américain partiel crée le besoin de systèmes de défense régionaux plus solides, d’où le réveil européen (tardif) en la matière. A plus court terme, les implications pour l’Ukraine sont incertaines. La Russie est en bonne position de négociation, et notre hypothèse centrale repose sur des avancées diplomatiques lentes et fragiles.

La remise en cause aggravée du libre-échange

Nous continuons de penser qu’il serait punitif pour les Républicains de se lancer dans des guerres commerciales aiguës, dont l’impact serait stagflationniste (hausse de l’inflation, baisse de la croissance). Déjà la confiance des consommateur (perspectives d’emploi et de revenus) a chuté lourdement, ainsi que celle des CEO. Trump se dit concentré sur le moyen terme.

Certes, mais le temps politique est court. La perte des élections de mi-mandat, à l’automne 2026, ruinerait la fin de sa présidence et annihilerait le désir républicain de changer la société. Notre hypothèse d’une approche commerciale pondérée est toutefois mise en doute. Nous ne pensons pas que le «put Trump» sur les actions américaines a disparu, mais son prix d’exercice et sa maturité sont plus flous.

A lire aussi: Les inquiétudes autour des droits de douane propulsent le cuivre vers des records

Le changement de paradigme fiscal

L’Allemagne a modifié sa règle d’or pour dégager des marges de manœuvre dans le financement de la défense, et approuvé un plan d’infrastructure de 500 milliards. Ce «bazooka» constitue un tournant historique. L’Union européenne s’est également engagée sur 150 milliards de financement de la défense, et a assoupli ses règles budgétaires pour permettre les financements nationaux de l’effort de défense.

L’estimation des multiplicateurs varie, mais ce tournant sera favorable à la croissance européenne, surtout en 2026-27. Aux Etats-Unis, des doutes émergent sur la capacité de DOGE à opérer des coupes significatives dans les dépenses. La discussion sur les baisses d’impôts s’ouvre, et sans financement crédible, risque d’ancrer les déficits publics sur des niveaux durablement élevés.

A lire aussi: Des tarifs «réciproques» engageraient une vraie guerre commerciale

L’accélération de la diffusion de l’intelligence artificielle (IA)

On retiendra le choc DeepSeek, et plus généralement les avancées chinoises en matière d’IA, et le partage de modèles performants et moins coûteux en mode «open source», qui challengent les acteurs occidentaux dominants. Ceci explique en partie la sous-performance des actions tech américaines cette année. Mais plus généralement une diffusion plus rapide et moins onéreuse de l’IA serait de bon augure pour la productivité.

Il est difficile de résumer succinctement les implications économiques et financières de ces chocs entrecroisés. L’incertitude est considérable (graphique), notamment parce que les objectifs politiques et économiques de Trump semblent incompatibles. D’ores et déjà nous révisons la prévision de croissance américaine sous les 2% en 2025.

«L’exceptionnalisme américain» s’essouffle, d’autant que les nouvelles économiques s’améliorent à la marge pour la Chine et la zone euro. L’inflation devrait continuer de se normaliser de part et d’autre de l’Atlantique, car la pression salariale diminue, mais de façon moins certaine aux Etats-Unis, du fait de l’impact des droits de douane.

Pour les marchés d’actions mondiaux, le risque vient surtout d’une guerre commerciale sévère. La question restera lancinante, mais si notre hypothèse de pondération est juste, il est possible que la date du 2 avril («liberation day» selon Trump) constitue un pic d’incertitude et de pessimisme en la matière.

Le tournant fiscal européen a déplacé les rendements longs dans une fourchette plus haute, que nous estimons à 2,50-3,00% pour le Bund 10 ans (2,78% actuellement). Le ralentissement américain milite pour un repli des taux longs américains, mais nous suivrons nerveusement le débat sur les baisses d’impôts et leur (non) financement. La classe d’actifs crédit reste attractive, même si les spreads demeurent serrés, après le modeste écartement récent. Les finances publiques, européennes et américaines, renforcent notre vue structurelle de spreads «plus serrés plus longtemps».

Enfin, le dollar américain s’est affaibli au premier trimestre, sous la pression baissière des taux longs américains et d’un «exceptionnalisme» déclinant. Trump, et son conseiller Stephen Miran, estiment que la domination du dollar a causé une surévaluation structurelle, nuisible à la compétitivité manufacturière. Pourtant, une forte hausse des droits de douane renforcerait plutôt le dollar. Le meilleur moyen de l’affaiblir serait de combiner une politique budgétaire rigoureuse et une politique monétaire accommodante. L’avenir nous dira si la rationalité économique l’emportera sur le dogmatisme politique. Le dollar reste cher, et la volonté de l’administration suggère plutôt un affaiblissement supplémentaire dans les trimestres à venir.

Un évènement L’AGEFI

Plus d'articles du même thème

ETF à la Une

Contenu de nos partenaires

A lire sur ...