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Des marchés obligataires en quête de points d’ancrage

Le cycle de resserrement monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed), qui a débuté au printemps 2022, a entraîné une augmentation durable de la volatilité implicite des options sur bons du Trésor américain (indice Move). Les niveaux atteints sont inédits depuis la crise financière mondiale de 2008-2009.
Cette hausse reflète la difficulté des opérateurs du marché à évaluer le nombre de relèvements de taux nécessaires pour ramener l’inflation à l’objectif. Il est intéressant, voire frustrant, de noter que, même si le resserrement est en grande partie sinon en totalité derrière nous, l’incertitude et, par conséquent, la volatilité du marché restent élevées, les investisseurs ayant du mal à trouver des points d’ancrage.
La liste des «inconnues connues» s’allonge chaque jour. Comme les responsables de la Fed l’ont expliqué à plusieurs reprises, la politique monétaire est dépendante des données, en raison de l’incertitude entourant les «décalages longs et variables» dans la transmission de la politique monétaire. Les prêts hypothécaires à taux fixe retardent cette transmission dans la mesure où la hausse des taux affecte uniquement la demande de nouveaux prêts — portant un coup sévère à l’activité de la construction — et non l’encours de la dette hypothécaire. De plus, les ménages ayant souscrit un prêt hypothécaire il y a plusieurs années vont en réalité bénéficier de la hausse des taux d’intérêt à travers l’augmentation des revenus d’intérêts de leur épargne. Les entreprises seront aussi, dans une certaine mesure, protégées contre la hausse des taux d’intérêt : une part importante de leur financement est composée d’obligations assorties d’un taux fixe. La hausse des coûts de financement finira néanmoins par se répercuter, car la dette devra être reconduite.
Autre obstacle à la transmission de la politique monétaire : la réduction, par les ménages, de l’épargne excédentaire accumulée pendant la pandémie. Le recul du taux d’épargne en deçà de ses niveaux d’avant la pandémie a été un facteur clé de la performance exceptionnelle de la croissance économique américaine au troisième trimestre (4,9%, au taux annualisé corrigé des variations saisonnières). Dans un tel contexte, on comprend pourquoi la Fed ne peut pas fournir d’indications prospectives (forward guidance). Cela va néanmoins se traduire par la persistance d’une très grande nervosité parmi les investisseurs obligataires. Ces derniers pourraient avoir tendance à opter pour des horizons d’investissement plus courts, leurs décisions dépendant des mêmes données que celles suivies par la Fed.
L’envolée récente de l’incertitude géopolitique vient compliquer un peu plus les choses. A priori, l’incertitude devrait être favorable à l’obligataire — selon la logique d’une préférence pour la sécurité — et ce d’autant plus si l’on considère qu’une incertitude prolongée devrait peser sur la demande et faire baisser l’inflation. Pour autant, le risque d’un choc inflationniste consécutif à une flambée des prix du pétrole et du gaz ne peut être écarté.
Corrélation positive
L’incertitude entourant les perspectives économiques pourrait provoquer un accroissement de la volatilité du marché actions, ce qui, à son tour, pourrait influer sur les marchés obligataires. Une étude réalisée par la Banque des règlements internationaux (BRI) a montré que les bonds de l’indice VIX se traduisent par une baisse de la prime de terme. Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, les rendements obligataires devraient reculer. Cependant, l’expérience de ces derniers mois a montré le rôle important de la nature des chocs qui peut, en outre, engendrer une corrélation positive entre les cours obligataires et les cours boursiers. Dans un tel environnement, les obligations ne servent plus de couverture pour les actions — les cours des deux classes d’actifs évoluent simultanément à la hausse et à la baisse — ce qui rend les obligations moins attractives et fait grimper les rendements.
Autre question importante : la fonction de réaction de la Réserve fédérale en 2024. Le scénario de base relatif à la poursuite de la désinflation implique que les taux réels (taux nominal moins taux d’inflation observé) augmenteraient de sorte que les conditions financières et monétaires se resserreraient. Cela justifierait une réduction du taux des Fed funds conforme au reflux de l’inflation, même avec un maintien de cette dernière au-dessus de l’objectif. On ignore encore quelle sera la réaction de la banque centrale, mais elle concentrera l’attention des opérateurs du marché une fois le taux terminal atteint. En relation étroite avec cette question, celle du rôle du taux neutre dans la fonction de réaction de la Fed se pose. Séduisant en théorie, ce concept se heurte d’un point de vue pratique à la fois à la difficulté de mesurer ce taux neutre et au large éventail d’estimations disponibles.
Enfin, une croissance résiliente conjuguée à la baisse de l’inflation peut augmenter la probabilité perçue d’un atterrissage en douceur, scénario dans lequel l’inflation serait ramenée à l’objectif sans avoir provoqué une hausse significative du taux de chômage. Cela permettrait à la Fed d’abaisser prudemment les taux pour éviter un rebond rapide de la croissance et un retour tout aussi rapide des tensions inflationnistes. Inutile de dire qu’une telle politique d’assouplissement mesuré empêcherait les rendements obligataires de baisser significativement.
A lire aussi: Le Trésor américain ménage la nervosité du marché obligataire
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