Bulle ou nouvelle normalité ?

Même si le prix des actions américaines est élevé, il n’y a pas de bulle. Un tel niveau de valorisation augure cependant de 5 à 10 ans de performances modestes.
Generali Investments
Bourse bear bull marchés

Annoncer un nouveau paradigme (« new normal »), en finance, peut s’avérer dangereux. Il s’agit souvent de justifier des valorisations inhabituelles, en absolu ou relatif, explications parfois démenties violemment par l’éclatement de bulles financières. La baisse concomitante de multiples primes de risque invite au débat.

Commençons par la valorisation des actions américaines, et la faible volatilité implicite de l’indice S&P. Celui-ci traite à 21,5 fois les profits des douze prochains mois (Price Earnings Ratio, PER), ce qui n’est pas extrême mais élevé. Cela correspond à un rendement (Earnings Yield, soit 1/PER) de 4,70%, soit à peine 50pb de plus que le rendement d’Etat à 10 ans. Cette prime de risque est faible d’un point de vue historique, quoiqu’elle ait déjà été négative par le passé, dernièrement lors la bulle dot.com au début du siècle.

Cette faible prime est-elle justifiable, ou dit-elle qu’aux Etats-Unis, il est plus attractif d’investir dans l’obligataire que sur les actions ? Un peu les deux mon capitaine. D’abord, on ne peut ignorer ni la hausse continue de la dette publique, qui réduit la rareté de l’actif dit « sans risque » (Treasuries), ni le choc inflationniste des quatre dernières années. Les prix à la consommation ont augmenté de 22% en 4 ans, un évènement impensable au regard de l’objectif d’inflation de 2% de la Fed. Certes, les anticipations d’inflation ne sont pas vraiment désancrées : la perte de crédibilité semble encore contenue. Le swap d’inflation 5 ans dans 5 ans en dollars traite a près de 2,60%, un niveau encore raisonnable quoique nettement supérieur aux 2,20% observés en moyenne sur les 5 ans précédant la pandémie.

L’expérience répétée de dérapages budgétaires incontrôlés à l’occasion de crises (et trop peu corrigés dans la période post-Covid), accompagnés d’assouplissements quantitatifs de la Fed, pondère la qualification « sans risque » associée aux Treasuries. Sans même parler du risque (infinitésimal) sur le crédit souverain américain, l’inflation constitue bel et bien un risque pour l’investisseur.

Marges préservées

A ce titre, les actions ont beaucoup mieux traversé le choc inflationniste, surtout parce que les entreprises ont réussi à protéger leurs marges, voire à les gonfler (« greedflation »). Les marges nettes du S&P ont doublé en 15 ans (creux post-crise financière), pour se situer à plus de 12% aujourd’hui. Les profits (après impôts) des entreprises américaines sont passés d’un creux de moins de 5% du PIB au début du siècle à 11% aujourd’hui. Certes, cela reflète le poids des valeurs de la Tech, qui enregistrent des marges nettes faramineuses, à 23% pour le secteur. Ces marges sont-elles tenables ou la concurrence fera-t-elle son œuvre ? Les « 7 magnifiques » représentent 34% de la capitalisation du S&P500, nouveau record (20% début 2023). Cette situation implique un risque de concentration accru pour les investisseurs. La volatilité implicite du S&P est particulièrement basse, au contraire de la dispersion élevée des performances au sein de l’indice. Le marché mesure-t-il bien le risque induit par cette concentration ?

Au total, la valorisation des actions américaines ne nous semble pas constituer une bulle, mais historiquement, un PER supérieur à 20 promet des performances modestes sur les 5-10 années suivantes, à moins que les profits ne capturent une part toujours plus grande la valeur ajoutée, au risque d’alimenter le populisme. Par comparaison, le crédit Corporate Investment Grade US, qui offre malgré des spreads étroits un rendement nominal de 5,40%, semble plutôt attractif, relativement aux actions, en termes de couple rendement-risque.

Un prime de risque action plus élevée en Europe

Tournons-nous maintenant vers la zone euro, où la situation est fort différente. Les actions y offrent un rendement d’environ 7,70% (PER du MSCI EUR à moins de 13), à comparer par exemple à un rendement d’Etat 10 ans moyen de 3,15% dans la zone euro, et un indice Corporate Investment Grade EUR offrant actuellement un rendement de 3,75%. En d’autres termes, la prime de risque actions est nettement plus élevée en Europe qu’aux Etats-Unis. La faible valorisation des actions européennes traduit une tendance moins forte des profits, elle-même reflet d’une croissance économique plus modérée (démographie en berne, gains de productivités plus faibles) et d’une composition sectorielle très différente (poids du secteur Tech notamment beaucoup plus léger).

En revanche, le spread entre les obligations d’entreprises et celles d’Etat est également très bas en Europe : le spread (OAS) EuroAgg Corporate traite à 108pb, en baisse de 30pb cette année, pas loin des points bas post-crise financière (75pb en 2015 et 2018). Notre préférence structurelle pour le crédit IG – justifiée par le portage, une moindre volatilité indicielle et la forte hausse des dettes publiques depuis 15 ans, en absolu et relativement à l’endettement des entreprises – est récompensée.

La prime de risque sur le crédit High Yield (entreprises plus endettées) est également basse (spread OAS en EUR autour de 350pb). La concurrence accrue antre les prêteurs (marché primaire, fonds de dette privée, banques cherchant à regagner des parts de marché via les ‘loans’) devrait participer au maintien de spreads étroits dans les trimestres à venir. En revanche, la crise politique française a vu le spread France-Allemagne (OAT-Bund 10 ans) s’élargir de 45pb à 65pb, avec un pic à 80pb avant le 1er tour des élections législatives. Elle met en exergue les défis budgétaires qui viennent, alors que la Commission Européenne a ouvert une procédure pour déficits excessifs. Plus généralement, la montée des populismes dans les démocraties occidentales accroît le risque de mauvaise gestion des finances publiques, à partir d’une situation souvent dégradée, comme c’est le cas en France.

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