Biodiversité, la finance sans boussole

Alexandre Garabedian
Alexandre Garabedian

Si vous n’avez pas aimé les serments intenables des trajectoires d’émissions zéro carbone, vous détesterez les engagements en faveur de la biodiversité. La préservation du vivant, angle mort de la politique environnementale durant des années, n’a fait que récemment son apparition en tête des agendas politiques. Dans l’industrie financière, la thématique émerge tout juste. Et c’est au moment où elle promettait de déboucher sur des actions concrètes que la guerre en Ukraine menace de la renvoyer aux oubliettes.

Pour un investisseur ou un banquier, la biodiversité élève les handicaps de l’approche ESG (environnement, social, gouvernance) à la puissance deux. Les initiatives foisonnent de toutes parts. Bien malin celui qui peut retrouver ses petits entre la TNFD, la CBD, la SNB3, le GRI et le LEAP (sic !), en attendant de voir naître d’autres sigles dont les autorités publiques nationales ou multilatérales ont le secret. Pour mesurer l’impact climatique, les normes de reporting extra-financières sont déjà mouvantes ; dans la biodiversité, impossible de détecter quels seront les standards de demain. La matière est aussi complexe que le vivant. Si réchauffement climatique et extinction des espèces animales et végétales sont liés, leurs interactions se dérobent aux grilles d’analyse simplistes. Certaines industries, grosses émettrices de carbone, auront peu d’effets directs sur les écosystèmes aquatiques ou terrestres, et inversement.

Pour compliquer le tout, les urgences énergétiques et agricoles nées de l’invasion de l’Ukraine forcent l’Europe à de douloureux demi-tours. Alors que point la menace d’une crise alimentaire dans certains pays émergents, la nécessité de nourrir les populations bat en brèche la politique « Farm to Fork » de la Commission européenne, qui vise à diminuer de moitié l’usage des pesticides d’ici à 2030. Peut-être est-ce un mal pour un bien tant ce texte est critiqué par l’argo-industrie. La crise russe a montré que la sortie du nucléaire, colonne vertébrale des mouvements écologistes, crée plus de problèmes économiques et environnementaux qu’elle n’en résout.

Les poteaux indicateurs de la stratégie biodiversité ne sont donc pas encore plantés dans le sol qu’il faut déjà les bouger. C’est d’ailleurs l’ensemble de l’investissement ESG qui est invité à faire son examen de conscience dans cette crise : les valeurs de l’armement ou du pétrole, sans lesquelles la souveraineté du continent est un vain mot, redeviennent soudain fréquentables. Mais cet entre-deux ne pourra durer trop longtemps. La realpolitik ne saurait faire oublier l’enjeu vital que représente la biodiversité.

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