Berlin ouvre une nouvelle ère budgétaire et monétaire

Relance de l’investissement, respect des règles de déficit, président à trouver pour la Bundesbank : les chantiers du nouveau gouvernement sont nombreux.
Fabrice Anselmi
Olaf Scholz, le nouveau chancelier allemand. 
Olaf Scholz, le nouveau chancelier allemand.  -  Crédit European Union

Le grand jour est arrivé pour Olaf Scholz, appelé à devenir aujourd’hui le nouveau chancelier allemand. Trois des quatre partis les mieux placés aux législatives de fin septembre formeront ce mercredi un gouvernement pour diriger le pays, selon l’accord signé le 24 novembre et ratifié depuis. Cette coalition «feu tricolore», en référence aux couleurs des partis, mettra un terme à 16 années de pouvoir de la démocrate-chrétienne Angela Merkel (CDU-CSU), avec le chef du parti libéral Christian Lindner (FDP) comme ministre des Finances, et le coprésident des Verts Robert Habeck comme ministre de l’Economie et du Climat.

Selon cet accord conclu après deux mois de négociations, ces partis espèrent moderniser l’économie allemande et augmenter les investissements publics verts et numériques. Le tout en revenant dès 2023 à la règle d’or qui interdit un déficit public structurel de plus de 0,35% du PIB par an. Revue des défis qui attendent le nouveau gouvernement sur le front financier.

Des règles budgétaires flexibles ?

Sur le point budgétaire, la porte s’est ouverte à plus d’expansion, mais les divergences historiques risquent d’aboutir à des compromis proches de ceux trouvés depuis quatre ans par l’alliance CDU-SPD. «Ce besoin de compromis a déjà conduit à un manque de détails dans l’accord, d’autant plus concernant le financement des mesures, ce qui pourrait entraîner des tensions au sein de la coalition», insiste Philippe Gudin, économiste senior chez Barclays, qui craint les oppositions entre les grands ministères. «Quand on met bout à bout les projets de dépenses (infrastructures, numérique, dépenses sociales, etc.) sans aucune augmentation d’impôts, cela ne semble pas coller, et les intentions ne sont pas tenables», note aussi François Rimeu, stratégiste senior de La Française AM.

Erik Nielsen, chef économiste d’UniCredit, décrit quatre voies possibles pour répondre au double engagement d’investir et de contenir l’endettement : «1) Emprunter davantage l’an prochain, tant que les freins à l’endettement sont suspendus ; 2) introduire des estimations plus réalistes de la croissance potentielle pour se donner un peu d’espace dans le budget à venir ; 3) augmenter les capacités de prêt de la KfW [la banque publique allemande, ndlr]; 4) augmenter le capital de certaines entreprises publiques, dont la Deutsche Bahn, avec pour instruction de faire du levier et d’investir». Ces deux derniers outils extrabudgétaires ne diffèrent pas de ceux utilisés dans d’autres pays, mais n’apparaissent pas comme les meilleurs moyens d’harmoniser les règles européennes et de les rendre plus transparentes.

L’autre pan budgétaire portera sur l’entrain de ce gouvernement à maintenir en l’état le Pacte européen de stabilité budgétaire (PSC) en 2023. Le strict respect du ratio de 60% de dette publique/PIB n’a plus de sens pour les pays du Sud, dont la reprise économique serait cassée par de nouvelles restictions. Surtout sans une union fiscale qui défavoriserait, elle, plutôt certains pays «frugaux» du nord.

Les discussions actuelles portent sur des aménagements plus ou moins flexibles. «Au niveau de l’Union européenne (UE) comme de l’Allemagne, certaines dépenses touchant à la transition climatique et à la transition numérique pourraient sortir du périmètre. Mais cela semble plus facile à faire d’abord au niveau européen, et d’abord sur le numérique – reconnu comme un besoin par tous les pays et tous les partis», estime François Rimeu. «Il y aura des dispositions spéciales pour les investissements verts, jusqu’à potentiellement 1% à 1,5% du PIB par an, et cela pourrait inclure des dépenses sociales découlant de cette transition à destination des plus pauvres, plus touchés par les mesures nécessaires», poursuit Erik Nielsen.

Un nouveau gouverneur à la Bundesbank

L’exécutif allemand jouera aussi un rôle dans la prochaine politique monétaire. L’éventuelle augmentation du Smic (de 9 à 12 euros) influencerait forcément l’inflation, rappelle JPMorgan. Le gouvernement doit aussi nommer le prochain gouverneur de la Bundesbank. D’après le Financial Times, Joachim Nagel, ancien de la Buba de 1999 à 2016 dans un rôle de supervision, et aujourd’hui à la Banque des règlements internationaux (BRI), tiendrait la corde.

«Les opinions de cet économiste en politique monétaire sont peu connues, mais il a grandement insisté, en 2012, sur l’absence de légitimité démocratique à financer la politique fiscale par le bilan de la banque centrale, rappelle Eric Dor, directeur des études à l’Ieseg. Il est clair qu’il partage l’opinion traditionnelle allemande sur le rôle de la banque centrale qui doit se focaliser strictement sur la stabilité des prix, ce qui convient parfaitement au FDP. Cela dit, Joachim Nagel semble assez pragmatique, et a parfois admis qu’il était nécessaire de s’écarter de ces principes.»

Une Union bancaire à l’allemande

Enfin, dans une volonté d’intégration européenne affichée, la nouvelle coalition «vise à achever l’Union bancaire » en proposant de mettre en place un mécannisme de réassurance pour les systèmes nationaux de garantie des dépôts. Les ministres des finances des pays de l’Union européenne réunis à Bruxelles lundi et mardi ont donc immédiatement remis ce projet sur les rails.

La coalition à Berlin reste cependant contre «une communautarisation complète des systèmes de garantie des dépôts en Europe» et n’est pas prête à abandonner le système local de garantie mis en place par ses caisses d’épargne et ses banques mutualistes. Son but est «d’éviter des charges économiques supplémentaires pour les banques de taille moyenne». Les discussions sont donc rouvertes, mais encore très loin d’aboutir.

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