Après le resserrement monétaire, place au budgétaire !

Le calibrage de la politique budgétaire sera crucial en 2024, lorsque les effets du resserrement quantitatif connaîtront leur pic, selon Gilles Moëc, chef économiste du groupe Axa.
Chef économiste d'Axa
Gilles Moëc, chef économiste du groupe Axa
Gilles Moëc  - 

Depuis le grand retour de l’inflation, l’essentiel du débat économique s’est focalisé sur la politique monétaire. A l’heure où les grandes banques centrales semblent repousser encore le moment où le pic du durcissement monétaire sera atteint, le risque d’«en faire trop» domine les inquiétudes et représente un ingrédient central dans les scénarios de récession – qui malheureusement se sont déjà matérialisés dans certains pays de la zone euro.

Pour autant, le rôle du budgétaire reste central. Après tout, sans la «surstimulation» par les finances publiques, le rebond inflationniste post-pandémie aux Etats-Unis aurait probablement été beaucoup plus facile à gérer par la Réserve fédérale [Fed]. Mais la trajectoire de la demande à partir de 2024 – et donc la pression inflationniste qu’elle exercera sur des capacités d’offre contraintes – sera très largement déterminée par la vitesse à laquelle les Etats commenceront à réduire les déficits laissés en héritage par la crise du Covid et la gestion du choc énergétique déclenché par la guerre en Ukraine.

Les Etats membres de l’Union européenne [UE] ont publié leur programme budgétaire pour les quatre années à venir. Dès 2024, ils prévoient tous de réduire leur déficit structurel, parfois de manière drastique : l’Allemagne et l’Italie prévoient un effort de plus de 1 point de PIB l’année prochaine. Même si l’impact immédiat sur la conjoncture sera atténué dans certains pays – dont l’Italie – par la montée en puissance des projets financés par le Pacte de Nouvelle Génération européen, les finances publiques agiront comme un frein sur l’activité dès l’année prochaine.

Un risque d’effet ciseau

Cet effort de consolidation se produira exactement au moment où le pic de l’impact du durcissement monétaire se matérialisera. Politiquement, il est probable que les gouvernements seront soumis à une forte pression pour, au contraire, compenser l’effet de la politique monétaire en maintenant une orientation très accommodante. C’est déjà le cas au Royaume-Uni, où l’intervention du gouvernement est réclamée par l’opposition et une partie des conservateurs pour compenser l’effet de la hausse des taux sur le revenu disponible des ménages via les emprunts immobiliers ajustables.

Mais l’exemple du Royaume-Uni est tout aussi intéressant par l’éclairage qu’il peut apporter à d’autres pays qui seraient tentés par une approche aventureuse des finances publiques. L’envolée des taux d’intérêt de marché en octobre 2022, en réaction aux projets du gouvernement de Liz Truss de baisses d’impôt non financées, doit rappeler qu’après des années d’anesthésie par l’intervention puissante et répétée des banques centrales, les mécanismes de discipline de marché peuvent toujours se réveiller.

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Il ne s’agit pas nécessairement d’aller à marche forcée vers une consolidation budgétaire trop brutale, qui pourrait in fine se révéler contre-productive en déclenchant une contraction durable de l’activité. La réforme du Pacte de stabilité et de croissance devrait aller dans le sens d’une plus grande flexibilité et d’une meilleure prise en compte des efforts de réforme structurelle, qui peuvent justifier des délais dans la réduction des déficits s’ils permettent d’élever la croissance potentielle. Mais à tout le moins, il faut désormais que les Etats rassurent sur la direction d’ensemble de leurs politiques budgétaires. C’est sur cette base que la pression de marché – qui viendrait s’ajouter aux effets du durcissement des conditions monétaires – peut être contenue.

C’est sans doute aux Etats-Unis que la question de l’orientation de la politique budgétaire est la plus ouverte. L’IRA (Inflation Reduction Act) est reçu – sans doute à raison – comme un effort utile de relance de la croissance potentielle américaine. Mais rien n’est dit, ou fait, pour assurer la soutenabilité de long terme des finances publiques. Le débat sur le «plafond de dette» n’a finalement concerné qu’une très petite part des dépenses fédérales (moins de 4% du PIB). La compétition électorale qui s’annonce ne crée pas l’environnement d’un débat serein.

Ce n’est pour autant qu’une question de temps aux Etats-Unis. Le rôle dominant de la place financière américaine lui permet souvent d’attirer à moindres frais l’épargne internationale qui peut combler les besoins fédéraux, mais cette protection n’est pas éternelle. Larry Summers rappelait que, sans correction, la dette publique américaine atteindrait près de 120% du PIB au début de la prochaine décennie. La prochaine administration qui s’installera à Washington ne pourra éluder longtemps la question budgétaire.◆

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