525 pb de hausse de taux de la Fed, pas de récession : miracle ou mirage ?

Les signaux avant-coureurs d’une baisse de la croissance de l'économie américaine continuent de s’accumuler, estime Vincent Chaigneau, directeur de la recherche chez Generali Investments.
Generali Investments
Vincent Chaigneau
Vincent Chaigneau  -  Photo RVThouroude

A l’approche du dernier trimestre, l’année 2023 est dominée par la résistance de la croissance globale, secourue par une économie américaine dominante, tandis que la reprise chinoise déçoit, et que la zone euro est à l’arrêt depuis l’automne 2022. Il est toujours facile d’expliquer ex-post cette échappée belle américaine ; la question est de savoir si l’économie a évité la récession, ou simplement retardé l’échéance.

Premier facteur de soutien, la consommation : les ménages ont puisé dans l’épargne excédentaire accumulée pendant la pandémie, pour compenser la perte de revenu réel due à l’inflation. Cet excès d’épargne a désormais fondu, mais les revenus réels progressent à nouveau, maintenant la consommation sur sa tendance longue. Les grèves dans l’automobile, la hausse du prix de l’essence et le remboursement des prêts étudiants constituent des vents contraires temporaires. Au-delà, le risque est que la croissance de l’emploi, qui ralentit, se tasse plus violemment, contraignant le revenu disponible et causant une remontée de l’épargne de précaution. Mais les entreprises, échaudées par les difficultés à compenser les licenciements opérés pendant la pandémie, ne devraient a priori pas avoir la main trop lourde.

Deuxièmement, la politique budgétaire, très expansionniste (Bidenomics), a contribué directement à la croissance et soutenu l’investissement des entreprises, via les plans successifs (CHIPS, Infrastructure, IRA). Le déficit fédéral aura presque doublé à près de 2.000 milliards de dollars sur l’année fiscale qui s’achève. Mais l’impulsion budgétaire devrait commencer à diminuer, et d’autant plus si la loi de finance 2024 fait l’objet d’une bataille politique sévère, voire pire, d’un ‘shutdown’ fédéral début octobre.

Troisièmement, la guerre en Ukraine a donné un avantage important aux Etats-Unis, où le prix du gaz naturel reste à moins du quart du prix européen. L’accélération verticale de la construction industrielle américaine contraste avec la chute de la production allemande dans les secteurs énergivores comme la chimie et la pharmacie. L’avantage américain va persister pendant la transition, mais en absolu, le rebond des prix de l’énergie (pétrole, essence…) est une menace pour le couple croissance–inflation.

Cette hausse reflète un déficit de production et constitue donc un choc d’offre, dans un environnement géopolitique mouvant qui a vu l’Arabie Saoudite rejoindre les rangs des Brics. Au pire, il pourrait forcer les banques centrales à resserrer encore, au risque de plomber la croissance.

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Enfin, l’effet négatif de la hausse des taux sur la croissance a été atténué par le volume d’emprunts à des taux très bas pendant la pandémie, souvent sur des maturités plus longues, ce qui repousse le stress lié au roulement de la dette. Par exemple, les taux hypothécaires américains à 30 ans ont explosé de 3,25% début 2022 à plus 7,50% aujourd’hui, mais le taux moyen sur l’encours de dette hypothécaire n’a lui gagné que 30 pb par rapport à son point bas de 3,30% à la mi-2022. Ce taux moyen va monter, et peser sur les ménages et l’immobilier.

Au total, si l’emploi et les revenus réels militent pour un atterrissage en douceur de l’économie américaine – ce qui est devenu le scénario central du marché – les autres facteurs pointent à la baisse. Ceci justifie une préférence pour le monétaire et l’obligataire dans l’allocation d’actifs globale, d’autant que l’année passée a vu un effet ciseaux dans les valorisations : le multiple du S&P 500 a gagné 3 points en 1 an, l’indice se négociant à près de 19 fois les profits anticipés des 12 prochains mois ; anticipations (+12% en 2024 et 2025) elles-mêmes fort optimistes !

Dans le même temps, les taux réels à 10 ans américains ont continué de monter, à plus de 2%, et près de 4,50% en nominal. Notre préférence pour l’obligataire est accentuée par le risque d’instabilité financière ; l’attention des régulateurs se porte sur la liquidité du secteur financier non-bancaire. On pense notamment aux multiples points de pression sur les marchés immobiliers globaux, qui interrogent sur la pérennité de taux longs réels élevés. Le risque géopolitique est aussi significatif, à l’aune d’une année 2024 chargée en élections (Taïwan en début d’année, Parlement européen en juin, Etats-Unis en novembre).

L'économie européenne est à l’arrêt

Existe-t-il un scénario plus vertueux, punissant une allocation trop prudente ? Un choc de productivité pourrait favoriser les actions et dans une moindre mesure les obligations (bon pour la croissance, baisse de l’inflation). On pense à l’intelligence artificielle, mais pas seulement : les gains de productivité sont particulièrement recherchés dans des situations de marchés du travail tendus.

Quid de l’Europe ? L’économie ne croît plus depuis le T4 2022. La frilosité du consommateur (qui ne touche pas au matelas constitué pendant la pandémie), la relative prudence budgétaire, le choc énergétique et le déficit d’innovation expliquent cette sous-performance, et le (faible) niveau record de valorisation des actions européennes par rapport à leurs homologues américaines, même après correction des différences sectorielles.

Il n’est pas certain qu’il faille se précipiter vers cette opportunité, du fait du biais «Value» des indices européens, des risques d’accélération du resserrement quantitatif de la BCE (taux de réserves obligatoires) et de dissensions politiques malvenues, notamment sur la question énergétique de part et d’autre du Rhin.

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