
Lobbyiste à Bruxelles, la voix du compromis

Tous les lobbyistes ne ressemblent pas à Pierre Niney, le héros glaçant du film Goliath sorti sur les écrans français début mars. Les représentants des intérêts du secteur financier auprès de la Commission européenne comptent même sur une meilleure image pour susciter les vocations. « La réglementation des services financiers est devenue vraiment internationale, surtout après la crise de 2008. Depuis lors, il y a eu une grande évolution, beaucoup de progrès, se réjouit Jacqueline Mills, directrice du plaidoyer de l’Association pour les marchés financiers en Europe (AFME). La crise a amené beaucoup de réformes et maintenant on passe à une autre phase avec la crise sanitaire. L’industrie a continué à jouer son rôle de financement de l’économie et est désormais vue comme une partie de la solution, et pas du problème. »
Le groupe d’intérêt, qui se définit comme « la voix des marchés financiers de gros à travers l’Europe » et compte plus de 150 membres parmi lesquels BlackRock, BNP Paribas ou encore Natixis, s’appuie sur la diversité de son équipe de lobbying. L’expertise financière s’y apprend souvent sur le tas. « On retrouve beaucoup de juristes, d’économistes, de diplômés en sciences politiques et notamment de Science Po pour ce qui est des Français, mais aussi de nombreux parcours très atypiques. J’ai par exemple un collègue qui a fait un master de philosophie », relate ainsi Hélène Benoist, arrivée dans l’antenne bruxelloise de l’organisation en 2019, après un master de gouvernance européenne à la Sorbonne, suivi d’un stage à la représentation de l’Union européenne à Washington, puis d’une expérience à l’ambassade de France.
Jeu collectif
Malgré l’élan positif pour la finance, déjà lancé avec le projet d’Union des marchés de capitaux (UMC) sous la Commission Juncker, le lobbying financier n’est toutefois efficace que quand il s’en donne les moyens, comme l’explique Jacqueline Mills : « Plus nous sommes unis, plus nous sommes convaincants. Notre plus grand défi est de rassembler nos membres autour de ce que nous avons en commun. Quand nous parvenons à avoir des positions solides, les institutions nous écoutent. »
Dans les institutions comme dans ces groupes qui gravitent autour, le goût du jeu collectif est ainsi un préalable indispensable à tout succès. Et si les lobbies défendent souvent des positions différentes entre représentants d’entreprises, d’associations nationales ou de fédérations européennes, ils évitent de se marcher sur les pieds, dans ce petit milieu où tout se sait. « Les positions ne sont pas identiques mais complémentaires, explique un fin connaisseur des coulisses. La Commission va par exemple plutôt voir les associations européennes quand l’eurodéputé ira du côté de la représentation du secteur dans son pays. »
« On peut se comparer à des interprètes, résume Jacqueline Mills. On doit toujours être capables de répondre des deux côtés, pour que les acteurs se comprennent et parviennent à communiquer le plus possible, en se basant sur des faits, des impacts chiffrés, venant d’études que nous fournissons grâce au réseau de nos membres ou en faisant appel à des consultants externes. » Dans le monde du lobbying bruxellois au sens large, l’importance de ces cabinets de conseil tout-terrain se renforce d’année en année. La branche bruxelloise de FTI Consulting propose ainsi une solution complète – allant de la veille à la stratégie de communication et d’affaires publiques en passant par le plaidoyer – à ses clients dont fait partie l’association des professionnels de l’investissement CFA Institute.
Débutant motivé accepté
Autre exemple de cabinet de conseil à succès, le français Euralia, créé il y a bientôt 30 ans et qui compte parmi ses clients phares l’Association française des professionnels des titres (AFTI), la Maif ou encore l’Association française des sociétés financières (ASF). La spécificité de cette agence ? Sa « double culture, française et européenne, comme l’explique son directeur général, Didier Sallé. Nous sommes une équipe de 14 consultants, 3 à Paris et 11 à Bruxelles, avec souvent des parcours où les Parisiens vont à Bruxelles et inversement ». « Une expérience dans les institutions n’est pas nécessaire pour être recruté, détaille le directeur Louis-Marie Durand, en charge des services financiers. L’important est de comprendre les grands enjeux et d’avoir une appétence pour la réglementation financière, mais surtout d’être capable de bien écrire, d’apprendre, de s’intégrer, de montrer de l’intérêt. Beaucoup de choses sont apprises au fur et à mesure, on laisse aux nouveaux arrivants le temps de se former. »
Si les profils recherchés paraissent moins divers qu’à l’AFME, avec une bonne part de diplômés de Science Po, le défi du compromis est le même. « On doit faire beaucoup de pédagogie auprès de nos clients, reprend Louis-Marie Durand. On ne peut pas se contenter de hisser le drapeau tricolore, il faut construire des coalitions, avec des acteurs de la même industrie mais aussi avec l’économie réelle, pour pouvoir exister, même si chaque acteur est libre de défendre ce qu’il estime être le meilleur pour lui à son niveau. » Après deux bons millésimes 2020 et 2021, Euralia veut continuer de plus belle cette année. « En temps de grande incertitude, les entreprises veulent déployer leurs antennes au maximum pour comprendre ce que législateur veut faire, explique Didier Sallé. Notre formule fonctionne car nous offrons une présence en plein cœur du quartier européen, mais aussi parce que nous formons nos clients aux affaires européennes, pour que ces enjeux qui peuvent paraître encore lointain, complexes, voire confus, deviennent stratégiques. »
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