
Les financiers s’arrachent les « UX designers »

Les « pros » de l’UX design, soit le design de l’expérience utilisateur (user eXperience, en anglais), font une entrée en force chez les banquiers et les assureurs ! L’exemple le plus emblématique est celui de la banque espagnole BBVA qui emploie 150 UX designers et s’apprête à former 1.000 ambassadeurs du design qui auront pour mission de propager la culture de l’expérience client dans toutes les strates de l’entreprise. En France, les établissements financiers n’affichent pas encore le même niveau de maturation, mais les choses bougent. Chez BNP Paribas (BNPP) Cardif France, une direction de l’expérience client et de la data vient de voir le jour. « L’amélioration de l’expérience client figure au cœur de notre plan de développement 2017-2020, rappelle Anne Congy, DRH de BNPP Cardif France. L’entreprise a voulu envoyer un signal fort en créant cette nouvelle entité, et en invitant sa responsable à rejoindre le comité exécutif France. »
Du côté de BPCE, une direction de l’expérience client et du marketing digital a été constituée il y a un an au sein de la task force « 89C3 » qui fédère l’ensemble de l’éco système digital du groupe. « Cette direction, composée aujourd’hui d’une quinzaine de personnes, compte déjà trois UX designers, et nous sommes sur le point d’en recruter deux autres, en sachant que nous employons aussi des consultants externes à plein temps qui sont eux aussi UX designers », explique David Serrault qui a été recruté, lui, il y a deux mois pour gérer cette équipe. Son parcours ressemble à celui de la plupart des UX designers : « Après l’obtention de mon BTS en plasturgie en 1996, j’ai d’abord travaillé comme designer industriel dans des agences de design. Mais très vite, mon appétence pour internet m’a incité à me former par moi-même au web design et à intégrer une agence internet. » En 2004, il est recruté par Lastminute.com, toujours comme web designer. « C’est pendant mes années chez Lastminute.com que s’est opérée pour moi la bascule du web design, essentiellement orienté vers l’esthétisme et le graphisme, vers une approche plus orientée sur l’expérience utilisateur », confie-t-il. Cette nouvelle coloration se concrétise en 2013 lorsqu’il est recruté à Londres par Getty Images en tant que UX designer. Et elle ne le quittera plus puisqu’après avoir été consultant UX et Innovation chez PSA, puis head of UX design chez Axa, David Serrault décide d’accepter la direction de l’équipe d’UX designers qui vient d’être créée, à la demande d’Yves Tyrode, directeur général en charge du digital du Groupe BPCE avec qui il avait travaillé chez Voyages-SNCF.com.
Recrutement tendu
Attirer ces professionnels est un véritable défi, comme l’explique Anne Congy : « Il est aujourd’hui très compliqué de les faire venir et de les retenir parce qu’ils sont très rares et très courtisés. Pour les séduire, nous valorisons le fait qu’ils auront la chance d’évoluer au sein d’une compagnie qui a érigé l’expérience client au rang de priorité stratégique, et qui leur offrira un terrain de jeu passionnant, les sociétés d’assurances ayant la particularité de disposer de données très riches. » Afin de les attirer, les recruteurs mobilisent tous les canaux. Pour dénicher les deux designers qui devraient rejoindre son équipe, David Serrault mise sur la petite communauté UX qui est très active sur la Place de Paris. « J’ai aussi noué des contacts avec quelques écoles de design comme l’Ecole nationale supérieure de création industrielle, l’Ecole de design Nantes Atlantique ou Strate Ecole de Design… Tous ces établissements ont ouvert il y a quelques années des filières digitales qui proposent de très bons profils. » Pour trouver les quatre spécialistes qui ont intégré la nouvelle direction de l’expérience client et de la data, la DRH de BNPP Cardif France a également exploré plusieurs pistes. « Nous avons, au sein de cette équipe, un collaborateur de l’entreprise qui s’est formé sur le sujet, un jeune actuellement en alternance, un ancien consultant externe que nous avons intégré en CDI, le management étant assuré par un profil plus expérimenté qui travaillait auparavant chez Axa. » Derrière ce profil plus senior se cache Wensi Lin, une diplômée du master 2 en design d’interactions de l’Institut du management de l’université de Savoie. « J’étais UX product manager chez Axa lorsque j’ai vu sur LinkedIn que BNPP Cardif cherchait quelqu’un pour prendre la responsabilité de l’équipe UX et marketing digital, raconte la jeune femme de 30 ans qui a commencé son parcours chez Meetic. J’ai postulé car le poste m’intéressait à double titre. D’abord pour sa dimension managériale, ensuite parce j’avais envie de rester dans l’univers de l’assurance où il y a beaucoup de projets à mener. » Au quotidien, Wensi Lin et son équipe participent à des ateliers de conception qui fonctionnent en mode agile. « Pour chaque projet, nous constituons une équipe composée en général d’un project manager, du chef de produit concerné par le projet, d’un designer UX et, en fonction des cas, de représentants du marketing, de la communication, du juridique ou de la ‘compliance’… » Dans ces équipes projets, le rôle de l’UX designer est de porter la voix des clients tout au long du processus. « Mon travail consiste à insuffler cette culture de l’expérience client et à apporter des méthodologies, orientées autour du ‘design thinking’, afin de concevoir des solutions qui répondent véritablement aux besoins du client », confirme Franck Dauger, 51 ans, qui après son DESS en ergonomie en 1992, a effectué toute sa carrière chez Generali comme chef de projet informatique puis ergonome, avant d’être nommé il y a deux ans UX designer au sein du service marketing et expérience client multicanal.
La veille comme discipline
Les UX designers ont ensuite pour mission de matérialiser sous forme de maquettes tout ce qui a été prédéfini pendant les ateliers de conception. « A ce stade, nous dessinons des maquettes fonctionnelles qui n’intègrent aucun élément de design, simplement des éléments de navigation et d’organisation du contenu dans les pages », explique Franck Dauger. Ce n’est qu’une fois les maquettes validées qu’il conçoit des prototypes qui sont ensuite testés. « Sur un même projet, nous pouvons organiser plusieurs phases de tests, d’abord auprès de collaborateurs de l’entreprise, ensuite auprès de prospects que l’on peut par exemple aller chercher dans la rue, en mode ‘guerilla testing’ ». Ces professionnels consacrent enfin une partie non négligeable de leur temps à réaliser un travail de veille sur une discipline qui est en constante évolution. « Tous les jours, je vais sur des sites spécialisés UX ou sur LinkedIn pour découvrir des cas d’usage, de nouvelles méthodes de travail, des innovations technologiques… », confirme l’UX designer de Generali. Pour rester à la page, David Serrault n’a eu, lui, de cesse de se former tout au long de sa carrière. « En 2006, trois ans après l’obtention d’une licence de multimédia et d’une licence d’arts plastiques, j’ai décroché un master multimédia interactif à l’université de Paris I. J’ai ensuite effectué des travaux de recherche pendant deux ans à l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs sur le thème de l’identité numérique et de la mobilité ».
Ce métier de « geek » exige de solides compétences techniques en design et en ergonomie ou une grande culture digitale. Mais « cela ne suffit pas, prévient la DRH de BNPP Cardif France. Il faut aussi être curieux, créatif, avoir une vraie capacité d’analyse, et une grande empathie vis-à-vis des clients car le travail d’un UX designer consiste à se mettre à leur place afin de comprendre leur démarche et leur état d’esprit ». « Il faut aussi beaucoup d’humilité, complète Franck Dauger. Quand, sur une maquette que l’on pense bien conçue et efficace, les usagers se révèlent finalement perdus, il faut accepter l’idée que l’on s’est trompé. » Au sein du géant BPCE, David Serrault dit apprécier la dimension « artisanale » de son métier : « Comme les artisans, j’ai le goût de ‘la belle ouvrage’. Avec les méthodes agiles, je construis petit à petit des solutions qui ont pour objectif de mieux servir nos clients. » Si son expertise est encore récente dans le monde de l’assurance, Wensi Lin a le sentiment d’exercer une profession très concrète. « Lorsque les retours des utilisateurs sont positifs ou que la solution que l’on a imaginée a permis de résoudre un problème rencontré par les clients, on se sent utile », confie la jeune responsable.
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