
Le risque d’une fuite des hauts patrimoines français refait surface

Les résultats des prochaines élections législatives ne sont pas encore connus, mais les hauts patrimoines ne veulent faire aucun pari. Retour de l’impôt sur la fortune assis sur les actifs financiers, suppression de la flat tax, alourdissement de la fiscalité sur les successions, hausse des impôts sur le revenu: «les programmes proposés sont de nature à refroidir l’investissement en France», remarque Benjamin Sacchet, directeur associé chez Avant-Garde Family Office. Conséquence, les demandes affluent chez les spécialistes de la gestion privée, laissant craindre une fuite des gros épargnants hors de France.
Les clients patrimoniaux veulent diversifier la géographie de leurs avoirs et leur premier réflexe est de se tourner vers l’assurance-vie luxembourgeoise. «Nous sommes dans un environnement favorable à l’assurance-vie luxembourgeoise et au contrat 100% en unités de compte. Nous avons constaté, depuis quelque temps, une augmentation du nombre de transactions, mais aussi une attention particulière à la protection et disponibilité des actifs», constate David Liebmann, directeur de la distribution et de l’innovation pour l’Europe chez Lombard International Assurance, l’un des grands acteurs du marché.
Horizons lointains
Si l’attrait du Luxembourg reste classique pour les clients les plus fortunés, les tensions politiques en France ont déclenché un intérêt vers des destinations plus lointaines. «Certains clients envisagent aujourd’hui de partir en Suisse, voire hors d’Europe», explique Benjamin Durand, le fondateur du Family Office B. Durand Capital Partners. Ces clients restent toutefois atypiques, car ce sont avant tout des entrepreneurs qui disposent de plus de 5 millions d’euros de liquidités dans leurs comptes, mais ce professionnel estime que «l’on sous-estime beaucoup la rapidité et la facilité avec laquelle les grandes fortunes peuvent partir».
Pour ces particuliers fortunés, les destinations sont connues. La Suisse d’abord, reste un point de chute naturel. Ensuite, Dubaï ou Singapour ont aussi attiré les plus aisés. Mais aujourd’hui, des familles se tournent vers d’autres pays. «Le Canada est un pays dans lequel il est relativement facile de s’installer», assure un conseiller en gestion de patrimoine. Du côté des entrepreneurs, les Etats-Unis font figure d’eldorado, mais «il n’est pas facile de s’y installer, déclare Benjamin Durand. Il faut y créer une entreprise et y domicilier son activité avant de pouvoir envisager déménager».
Délocalisation simplifiée
La menace de la délocalisation physique ou des avoirs des plus fortunés a souvent été brandie, sans réellement se concrétiser dans des proportions significatives. La situation apparaît cependant différente aujourd’hui de celle qui prévalait dans le passé, la circulation des capitaux et des personnes ayant été rendue beaucoup plus facile.
«Certains de nos clients souhaitent prendre des dispositions pour se protéger avant le résultat des élections. Nous ne sommes pas le seul établissement concerné, car nous ressentons depuis la dissolution de l’Assemblée nationale que les assureurs luxembourgeois ont un surplus de travail, souligne le directeur d’Avant-Garde Family Office. Nous enregistrons d’ailleurs de nombreuses créations de contrats d’assurance-vie luxembourgeois, mais aussi des arbitrages vers ces derniers. Certains clients accélèrent leurs calendriers initiaux et souhaitent opérer rapidement compte tenu du contexte». Un asset manager en lien avec des assureurs-vie luxembourgeois évoque, lui, «des services clients débordés pour la clientèle française depuis quinze jours».
Contourner la loi Sapin 2
Si l’assurance-vie luxembourgeoise permet de diversifier ses capitaux dans un contexte incertain, elle offre surtout un niveau de sécurité sans égal. Or, certains épargnants français les plus pessimistes pour l’après-élection vont jusqu'à craindre des mesures confiscatoires en cas de crise de la dette, comme une possible saisie sur les gros comptes bancaires - garantis à hauteur de 100.000 euros, mais pas au-delà - ou un emprunt obligatoire.
Les encours déposés au Luxembourg bénéficient d’une convention tripartite de dépôt. D’un côté, les assureurs constituent des provisions techniques au bilan qui seront supervisées par le Commissariat aux assurances, de l’autre, les actifs seront déposés sur un compte d’une banque agréée. Ce système permet au souscripteur de choisir lui-même la banque dépositaire à laquelle il souhaite confier son argent.
Ensuite, contrairement à la France, l’enveloppe luxembourgeoise permet de bénéficier d’une position de créancier privilégié en cas de défaillance de la compagnie d’assurances. Les avoirs ne peuvent être bloqués et la protection du capital est illimitée. Dans l’Hexagone, depuis l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2, les avoirs en assurance vie peuvent être soumis à un blocage de six mois (deux fois trois mois) et la protection du capital est limitée à 70.000 euros. «Un nombre croissant de familles souhaitent s’en protéger en souscrivant à un contrat d’assurance-vie luxembourgeois ou en déplaçant leur épargne en Suisse, parce qu’ils craignent de ne pas pouvoir retirer leurs capitaux en cas de gel des avoirs», constate Benjamin Sacchet. Un blocage qui n’a jamais été enclenché jusqu’à aujourd’hui.
2027 en ligne de mire
Les demandes de renseignements pour les délocalisations se sont amplifiées depuis le 9 juin, mais le début du phénomène date en réalité de 2022 et du déclenchement de la guerre en Ukraine. Le marché français est d’ailleurs devenu le premier marché pour l’assurance vie luxembourgeoise. Fin 2023, la collecte totale sur ces contrats s’élevait à 18,7 milliards d’euros et près de la moitié (47%) était issue de l’Hexagone. Et pour cette clientèle française d’ores et déjà positionnée au Grand-duché, l’heure est à la protection. «La situation pousse à se repositionner sur certains marchés et à opter pour une position d’attente sur d’autres. Le résultat des élections était finalement bien anticipé dans les sondages et nous avions réduit le risque en nous désengageant en partie des marchés actions français et européen pour nous repositionner sur le marché obligataire et les marchés actions américains», explique Bastien Baron, fondateur de Justae Gestion Privée.
Rien ne dit que, dans les semaines qui viennent, une hémorragie des capitaux ait lieu. Notamment parce que des dispositifs fiscaux applicable lors d’un départ de France rendent l’opération compliquée. Cependant, la dissolution de l’Assemblée nationale laissera des traces, car, aux dires de certains conseillers, «les plus fortunés ont déjà 2027 en ligne de mire et se préparent à un changement de politique fiscale en France depuis la dernière élection présidentielle». Un changement qui, vu l'état des finances publiques, risque d’arriver tôt ou tard dans les trois ans.
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