
La pression monte sur le dividende des banques françaises

En première ligne pour soutenir l’économie et les entreprises pendant la crise sanitaire, les banques européennes ont besoin de mobiliser leurs fonds propres. Le maximum de fonds propres. C’est le message martelé par la Banque centrale européenne (BCE) et des autorités de supervision qui demandent aux banques de modérer la rémunération de leurs actionnaires, et au passage celle de leurs dirigeants. «Le répit obtenu par les banques grâce aux mesures adoptées [récemment pour alléger leurs contraintes prudentielles ] doit être utilisé pour financer l’économie et absorber les pertes possibles, pas pour augmenter les rémunérations ou la distribution de dividendes», explique la BCE. Si l’institution de Francfort «ne demande pas aux banques de suspendre ou réduire les distributions de dividendes ou les rachats d’actions, elle attend que les banques prennent des décisions prudentes à la lumière de la détérioration des perspectives économiques».
En France, la question a pris un tour politique. «Nous regardons tout cela. Il y aura une réponse dans quelques jours», glisse une source à Bercy. Mardi, le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire a demandé à «toutes les entreprises, notamment les plus grandes, de faire preuve de la plus grande modération» sur les dividendes.
Pratiques disparates
L’espagnole Santander, première banque de la zone euro par la capitalisation boursière, a ouvert une brèche en début de semaine en annonçant qu’elle paierait son dividende 2020 en une seule fois en 2021, sans acompte en novembre prochain, «afin de disposer de toutes les ressources nécessaires pour soutenir les entreprises et les clients individuels dans le besoin» pendant la pandémie de coronavirus. Des petits établissements sont allés plus loin, telle l’autrichienne Erste Group qui a suspendu son dividende au titre de 2019, ou l’islandaise Islandsbanki qui n’en versera pas en raison du Covid-19. Certains tentent de définir une ligne commune sur le sujet. Jean Pierre Mustier, directeur général d’UniCredit et actuel président de la Fédération bancaire européenne (FBE), est en train de sonder ses pairs sur le maintien ou non de leur dividende au titre de 2019, a dévoilé hier Bloomberg.
A quelques semaines de leurs assemblées générales (AG) annuelles, les banques françaises, elles, restent fidèles aux annonces faites lors de la présentation de leurs résultats annuels, en février. Chez BNP Paribas, deuxième banque cotée de la zone euro, «le dividende sera payé suivant les résolutions déjà passées qui seront soumises au vote des actionnaires», déclare une porte-parole. Le groupe prévoit de verser à ses actionnaires 50% de son bénéfice 2019, soit 3,87 milliards d’euros. A la Société Générale, qui va verser 1,88 milliard d’euros, «les résolutions soumises au vote lors de l’AG incluent notamment le montant du dividende de 2,20 euros par action au titre de l’exercice 2019 avec mise en paiement le 28 mai, rappelle un porte-parole. Nous n’avons rien communiqué d’autre à ce sujet», ajoute-t-il.
Crédit Agricole SA reste muet mais a publié hier l’avis de convocation de son AG qui signale bien un paiement de 0,70 euro par action, soit 2 milliards d’euros au total. Natixis, connue pour son taux de distribution élevé, n’a pas répondu à L’Agefi. Elle prévoit de verser 0,31 euro par action, soit «plus de 80%» de son bénéfice 2019 qui avait atteint 1,9 milliard d’euros. Les deux banques pourraient arguer que leurs dividendes rémunèrent leurs maisons mères mutualistes, qui financent l’économie locale : les caisses régionales du Crédit Agricole pour CASA, et BPCE pour Natixis. Après tout, CNP Assurances, désormais contrôlé par un actionnaire public, La Banque Postale, a signalé la semaine dernière qu’il verserait le dividende prévu. «On doit se poser la question du dividende payé aux fournisseurs de capital de l’entreprise. Il faut payer tous les fournisseurs», estime Nicolas Dufourcq, le directeur général de Bpifrance qui rappelle que «les banques ont déjà beaucoup perdu [de leur valeur] en Bourse».
Pour autant, l’étau se resserre. «Un nombre croissant de pays demandent aux banques de reconsidérer (ou d’annuler) les dividendes. […] Ces interventions vont de la demande d’annulation du dividende (Hongrie, République tchèque) à des instructions pour revoir les distributions prévues par les banques (Suède et Norvège)», pointent les analystes d’UBS. Selon eux, «d’autres régulateurs vont suivre les autorités ci-dessus et la liste des banques qui couperont leurs dividendes 2019 et placeront les plans de 2020 sous revue devrait s’allonger».
Les salaires en question
Sur le maintien ou non de la rémunération passée ou à venir des dirigeants, aucun établissement tricolore n’a répondu à nos questions. Les deux banquiers les mieux payés en France, Jean-Laurent Bonnafé chez BNP Paribas, et Frédéric Oudéa à la Société Générale, se sont vu attribuer respectivement 3,79 et 3,54 millions d’euros au titre de 2019, révèlent les documents de référence des deux groupes. Ces enveloppes en augmentation de 14% et 11% incluent leur salaire fixe (resté stable l’an dernier), leur rémunération variable et un plan d’intéressement de long terme. Payées sur plusieurs années, ces deux dernières composantes ont augmenté sous l’effet de la hausse des résultats financiers et des cours de Bourse.
Les pratiques des banques françaises sont tout à fait légales, mais elles pourraient se heurter à la position formulée par le Haut Conseil de stabilité financière. «Le HCSF recommande une attitude responsable concernant la distribution de dividendes et le versement de rémunérations variables», en contrepartie de l’abaissement des coussins de fonds propres contra-cycliques jusque-là imposés au secteur. Reste à savoir ce qu’est une «attitude responsable» et si les recommandations sont rétroactives ou non. Là encore, Santander se distingue. Sa présidente exécutive Ana Botín et son directeur général José Antonio Álvarez verront leur rémunération totale réduite de 50% en 2020. Les émoluments du reste de l'équipe de direction diminueront aussi afin de financer un nouveau fonds destiné à la lutte contre le coronavirus.
Plus d'articles du même thème
-
Le président de BP s’apprête à tirer sa révérence sous la pression d’Elliott
Helge Lund quittera le groupe britannique, vraisemblablement en 2026, dans le cadre d’une transition ordonnée. La recherche d’un successeur est désormais lancée. -
Harvest commence à sortir du bois après sa cyber-attaque
Sonia Fendler, directrice générale adjointe chez Harvest, est intervenue à la Convention annuelle de l’Anacofi, quelques jours après s'être exprimée lors d'une réunion organisée par la CNCGP. Elle a donné des premiers éléments d’explications sur l’origine de la fuite de données et confirmé que la période d’indisponibilité des services ne sera pas facturée. -
La loi de finances 2025 a laissé aux banques un sentiment aigre-doux
Par souci de justice fiscale, la loi de Finances 2025 a apporté un certain nombre de modifications dont plusieurs touchent les banques de façon directe ou indirecte. Certaines dispositions ne sont pas à l’avantage du secteur bancaire mais d’autres sont plutôt bénéfiques. Zoom sur deux exemples concrets.
Sujets d'actualité
ETF à la Une
- La Banque Postale débarque le patron de sa banque privée
- A la Société Générale, Slawomir Krupa se prépare à la taylorisation des banques
- La Société Générale prend le risque d'une grève en France fin mars
- Une nouvelle restructuration à la Société Générale ne plairait pas aux investisseurs
- Le CCF a perdu une centaine de millions d’euros l’an dernier
Contenu de nos partenaires
-
Pénuries
En combat air-air, l'aviation de chasse française tiendrait trois jours
Un rapport, rédigé par des aviateurs, pointe les « vulnérabilités significatives » de la France en matière de « supériorité aérienne », décrivant les impasses technologiques, le manque de munitions et les incertitudes sur les programmes d'avenir -
Escalade
L'armée algérienne passe à la dissuasion militaire contre la junte malienne
La relation entre Alger et Bamako ne cesse de se détériorer ces derniers mois alors qu'ex-rebelles et armée malienne s'affrontent à la frontière algérienne -
En panne
Pourquoi les Français n’ont plus envie d’investir dans l’immobilier
L’immobilier était le placement roi, celui que l’on faisait pour préparer sa retraite, celui qui permettait aux classes moyennes de se constituer un patrimoine. Il est tombé de son piédestal. La faute à la conjoncture, à la hausse des taux, à la chute des transactions et à la baisse des prix, mais aussi par choix politique : le placement immobilier a été cloué au pilori par Emmanuel Macron via une fiscalité pesante et une avalanche de normes et d’interdictions