
Cyril Bertrand (XAnge) : «La French Tech va résister»

Alors que s’ouvre à Cannes l’édition 2022 de l’International Private Equity Market (Ipem), le rendez-vous des professionnels du private equity, des inquiétudes émergent sur la French Tech et son financement, contrastant avec l’euphorie qui régnait un an auparavant. Ces craintes sont-elles fondées ?
Il y a effectivement eu beaucoup d’euphorie en 2021. Les levées de fonds ont atteint l’an passé des niveaux sans précédent, tandis que les valorisations et les opportunités de sorties ont explosé. En 2021, nous avons ainsi réalisé en montant de cessions l’équivalent de trois années classiques (200 millions d’euros contre 65 millions en moyenne). Avec la hausse des taux, le contexte macroéconomique incertain et le retour de l’inflation, l’ambiance est désormais celle d’un lendemain de fête. Mais la French Tech va résister. Il s’agit tout simplement d’un cycle, qui s’inscrit dans une tendance haussière à long terme. Nous retrouvons en 2022 l’environnement que nous connaissions en 2018. Dans le secteur des solutions logicielles de type SaaS (Software as a Service), qui sert généralement d’étalon dans le venture, les valorisations avaient atteint en début d’année des niveaux astronomiques, allant jusqu’à 100 fois les revenus récurrents annuels (ARR, revenus mensuels sur les douze derniers mois). Nous renouons désormais avec des multiples de 8 à 10, qui ont historiquement constitué la règle. De la même façon, les opportunités de cessions ne tombent plus du ciel et se méritent. Il n’y a donc rien de grave, tant que les problèmes de valorisation ne se propagent pas à l’économie réelle.
Certaines sociétés, telles que la fintech spécialisée dans le paiement différé Klarna, ont justement vu leur valorisation s’effondrer, ce qui les a contraintes à licencier…
Certaines activités spéculatives ont été portées aux nues pendant l’envolée, rendant la chute plus difficile. Des secteurs comme le paiement différé se sont par ailleurs fait rattraper par la hausse des défauts de paiement et la réglementation. De façon générale, les start-up, comprenant qu’il leur est aujourd’hui plus difficile de lever des capitaux, se montrent plus prudentes dans leurs embauches. Mais cela n’empêche pas 80 % d’entre elles, en très bonne santé, de continuer à recruter.
Comment investissez-vous ?
En tant que branche innovation du groupe de capital-investissement Siparex, nous intervenons en tout début de cycle de vie de l’entreprise, en amorçage autant qu’en série A. Notre thèse d’investissement est de mettre à disposition du plus grand nombre, soit 99 % de la population, ce qui était réservé auparavant au 1 % privilégié. A titre d’exemple, nous avons pris par le passé une participation dans Odoo, qui est devenu le logiciel de gestion d’entreprise le plus installé à l’échelle mondiale. Dans un secteur auparavant dominé par SAP, dont l’offre n’était accessible qu’aux grandes entreprises, Odoo a mis ses solutions à la portée de tous.
Comment identifiez-vous les dossiers ?
Nous sommes l’un des trois principaux investisseurs français intervenant en série A (classement Sifted 2022), ce qui explique que nous recevions de nombreux dossiers. Nous allons également les chercher, en les identifiant via des outils technologiques, puis en allant à la rencontre des dirigeants. Il s’agit d’un métier risqué. Un investissement sur quatre en moyenne induit une perte totale en série A et deux sur cinq en amorçage. Nous devons donc être très sélectifs. Sur les milliers de dossiers que nous étudions chaque année, nous n’en réalisons que 0,3 % à 0,5 %. C’est ce profond travail de sélection qui nous permet de créer de la performance, tous nos fonds réalisant un taux de rendement interne (TRI) net supérieur à 20 %. Nous comptons à ce jour six licornes dans nos investissements : Ledger, dont nous avons été le premier actionnaire, Believe, start-up désormais introduite en Bourse, Lydia, Odoo, Deposit Solutions et Flink.
Sur quels secteurs misez-vous ?
Nous avons identifié plusieurs vecteurs de croissance pour les dix prochaines années. Nous misons sur la biologie synthétique et avons investi l’an passé dans TreeFrog, le spécialiste des thérapies de cellules souches. Nous nous intéressons également au climat (investissement dans Greenly en France et dans Pina Earth en Allemagne) et au monde des développeurs informatiques, qui sont 26 millions dans le monde et ont besoin d’outils perfectionnés mais accessibles. Enfin, les cryptomonnaies, qui sont aujourd’hui dans les mains de 1 % de la population mondiale, correspondent parfaitement à notre thèse visant à démocratiser ces actifs.
Ce secteur convainc-t-il tous vos investisseurs ?
Il s’agit effectivement d’un sujet clivant chez nos investisseurs. Nous levons donc un véhicule dédié aux cryptos afin de respecter les convictions de chacun. Nous visons 80 millions d’euros, avec la réalisation d’un premier closing d’ici à la fin de l’année. Notre conviction est forte et très long-termiste. Les cryptos poseront les fondements d’une nouvelle forme d’infrastructure, qui permettra d’ici à dix ans l’émergence d’acteurs alternatifs aux Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon, NDLR). Luc Jodet, cofondateur d’Arianee, la start-up spécialisée dans les NFT (jetons non fongibles), nous a rejoints pour gérer ce véhicule, qui pourra investir à la fois en equity et via l’acquisition de tokens. Le pipeline d’opportunités étant moins fourni que sur le digital, le fonds sera plus diversifié que pour nos autres stratégies, avec 40 % des investissements en France, 40 % en Europe et 20 % dans le reste du monde (contre 75 % en France et 25 % en Allemagne pour les fonds traditionnels).
Qu’en est-il de vos autres fonds ?
Nous avons levé l’an passé notre véhicule de quatrième génération. D’un montant de 220 millions d’euros, il succède à un fonds de 92 millions levé en 2017 et est d’ores et déjà investi au tiers. Nous gérons par ailleurs un fonds Impact, de 80 millions d’euros, pour la Mutualité Française. Notre scénario économique est celui d’une récession douce. Nous préparons nos 70 sociétés en portefeuille à traverser cette phase pendant les trois à quatre prochains trimestres et nous assurons qu’elles disposent des réserves de trésorerie suffisantes, ce qui est aujourd’hui le cas.
Propos recueillis par Virginie Deneuville
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