Remise en cause simultanée du calcul des plus-values en report et du plafonnement de l’IFI

Par deux décisions du 12 octobre 2018 (n° 423044 et 423118), le Conseil d’Etat a donc renvoyé à la CJUE une double question préjudicielle après que le cabinet Bornhauser a transmis au Conseil d’Etat un recours pour excès de pouvoir contre la doctrine administrative relative au traitement fiscal des plus-values placées en report.
La première question est la suivante : les dispositions de l’article 8 de la directive du 19 octobre 2009 doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles font obstacle à ce que la plus-value réalisée à l’occasion de la cession des titres reçus à l’échange et la plus-value en report soient imposées selon des règles d’assiette et de taux distinctes ?
Seconde question : ces mêmes dispositions doivent-elles en particulier être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce que les abattements d’assiette destinés à tenir compte de la durée de détention des titres ne s’appliquent pas à la plus-value en report, compte tenu de ce que cette règle d’assiette ne s’appliquait pas à la date à laquelle cette plus-value a été réalisée, et s’appliquent à la plus-value de cession des titres reçus à l’échange en tenant compte de la date de l’échange et non de la date d’acquisition des titres remis à l’échange ?
Pour rappel, les règles actuellement en vigueur prévoient que les plus-values réalisées depuis le 14 novembre 2012, lors d’une opération d’apport de titres à une société contrôlée par l’apporteur, sont de plein droit soumises à un régime de report d’imposition. Dans ce cas, la plus-value d’apport est calculée et déclarée lors de sa réalisation mais son imposition est reportée au jour de la cession des titres remis en contrepartie de l'échange. Etant précisé que le régime fiscal applicable est celui en vigueur au jour de la réalisation de la plus-value d’apport.
Application de l’abattement pour durée de détention :
- Pour les plus-values placées en report entre le 14 novembre et le 31 décembre 2012 : aucun abattement
- Pour les plus-values placées en report entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2017 : application d’un abattement de droit commun ou renforcé (art. 150-0 D, 1 du CGI).
Le recours introduit auprès du Conseil d’Etat tire son origine de la réforme de la taxation des revenus du capital intervenue en 2012, qui prévoit l’imposition des plus-values au barème progressif de l’impôt sur le revenu (avec un taux marginal de 45 %), en lieu et place du taux forfaitaire de 24 % qui s’appliquait encore en 2012.
Ainsi, les plus-values constatées et placées en report d’imposition avant le 1er janvier 2013 ont été soumises au moment de leur expiration au barème progressif, sans bénéficier des abattements pour durée de détention.
L’administration retient que ces abatttements ne peuvent pas venir modifier rétroactivement le montant d’une plus-value constatée à une date où ils n’étaient pas encore en vigueur. Une doctrine que certains contribuables ont contesté devant le Conseil d’Etat qui a pourtant confirmé la conformité de cette position à la loi (arrêt n° 390265 du 12 novembre 2015), alors que «le Conseil Constitutionnel a formulé des réserves d’interprétation (décision n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016) l’ayant conduit à distinguer les reports d’imposition obligatoires (report de l’art. 150-0 B ter du CGI) des reports d’imposition facultatifs» précise Marc Bornhauser.
S’agissant des reports obligatoires - qui visent principalement les apports de titres à une société contrôlée par l’apporteur - l’expiration d’une plus-value en report entraîne sa taxation selon les règles applicables, non pas au jour de la cession, mais au jour de l’apport. Il est fait application :
- d’un taux forfaitaire de 24 % – ou 19 % sous certaines conditions – pour les apports réalisés fin 2012,
- du taux moyen résultant de la combinaison du barème progressif et des abattements pour les apports réalisés entre 2013 et 2017,
- du prélèvement forfaitaire unique de 12,8 % pour les apports réalisés en 2018.
» Les clients concernés critiquent la législation nationale française qui aboutit à ce que leur opération d’apport entraîne une fiscalité plus lourde que celle qui se serait appliquée en son absence. Le droit européen (directive 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990), suggère que la plus-value réalisée à l’occasion de la cession des titres reçus lors d’un échange doit donner lieu à la taxation d’un gain unique, soumis à un régime fiscal unique qui doit être celui auquel auraient été soumis les titres échangés s’ils n’avaient pas fait l’objet d’un échange» justifie l’avocat.
Le Conseil d’Etat a entendu ces contribuables et a accepté le renvoi d’une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne pour clarifier ce point.
Le cabinet Bornhauser espère que la CJUE, puis le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’Etat tireront les conséquences de cette disparité de traitement et que les plus-values en report deviendront éligibles à l’abattement de l’article 150-0 B ter du CGI. Marc Bornhauser, avocat associé du cabinet, précise «qu’une telle décision remettrait en cause toute la conception française du report d’imposition issue de la jurisprudence Chaisemartin (CE 10 avril 2002, n° 226886)».
» Si le succès était au rendez-vous de notre contentieux, il existe une catégorie relativement marginale de contribuables qui pourraient nous en vouloir : ceux qui ont constaté entre 2013 et 2016 des plus-values en report bénéficiant de l’abattement pour durée de détention majoré de 85 %. En effet, leur plus-value en report ne supportera actuellement que l’impôt sur le revenu (hors prélèvements sociaux) au taux marginal maximum de 6,75 % versus 12,8 %. Cela dit, il est probable que la garantie des droits visée à l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 devrait les protéger contre ce dégât collatéral " annonce l’avocat.
QPC relative au plafonnement de l’IFI :
Les avocats ont obtenu le même jour (n° 422618), le renvoi par le Conseil d’Etat d’une QPC sur le plafonnement de l’IFI, «la Cour de cassation étant saisie d’une QPC similaire sur les dispositions identiques en matière d’ISF. Par ailleurs, le cabinet a introduit une réclamation contentieuse au nom d’un client pour réclamer que l’application du plafonnement en matière d’ISF tienne compte de l’inflation dans l’hypothèse d’une plus-value sur biens meubles - en l’occurrence de l’or physique».
«Dans l’hypothèse où le Conseil Constitutionnel répondrait positivement à la question portant sur l’IFI, comment va régir l’administration sur l’ISF ? Va-t-elle spontanément accepter de nous donner satisfaction ou va-t-elle nous obliger à aller à chaque fois devant le Conseil Constitutionnel au motif que les textes applicables sont différents, comme elle l’a fait à propos de la prise en compte dans le calcul des prélèvements sociaux de la majoration de 25 % de certains revenus créée à la suite de l’incorporation en 2006 dans le barème de l’impôt sur le revenu de l’abattement de 20 % dont bénéficiaient les salariés ? Et comment vont se comporter les magistrats des juridictions suprêmes, Cour de cassation en tête ? Vont-ils refuser de transmettre la QPC sur l’ISF au motif que la question aura déjà été tranchée pour l’IFI compte tenu de la similitude de la rédaction des textes ? " s’interroge Marc Bornhauser.
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