PSFP : le marché encore à la traîne

Prolongera ? Prolongera pas ? Depuis le 20 mai dernier, le marché du crowdfunding est suspendu à la décision de la Commission européenne (CE). Le point en suspens : rallongera-t-elle la période de transition pour l’obtention du nouvel agrément européen de Prestataire de services en financement participatif (PSFP) ?
Les plateformes ont jusqu’au 10 novembre pour l’obtenir, sous peine de devoir baisser le rideau dès le lendemain. Il a été introduit par le nouveau règlement européen 2020/1503 relatif aux plateformes de crowdfunding, qui vise à unifier les règles du marché dans toute l’Union européenne (UE) et qui est entré en vigueur le 10 novembre 2021. Depuis, une phase de transition a débuté, permettant aux plateformes de préparer leurs dossiers d’agrément et pendant laquelle les statuts nationaux subsistent.
En France, les Conseillers en investissement participatif (CIP) et Intermédiaires en financement participatif (IFP) devront donc bientôt laisser la place aux PSFP. Une poignée de plateformes possèdent également le statut de Prestataire de services d’investissement (PSI). Plus large que le crowdfunding, il ne disparaîtra pas en France mais ne sera plus suffisant pour exercer une activité de financement participatif.
Une situation «préoccupante»
Problème : alors que le marché avait un an pour se préparer, force est de constater qu’il n’a pas beaucoup bougé. Dans son rapport rendu public le 19 mai dernier, l’Autorité européenne des marchés financiers (European securities and markets authority, Esma), révélait que seules 15 des 271 plateformes de l’UE ont déposé un dossier. En France, c’est pire : quatre plateformes seulement ont franchi le pas (dont October, nouveau propriétaire de Credit.fr).
Alors qu’il ne reste qu’un peu plus de cinq mois avant la date butoir, l’Esma craint que les régulateurs locaux ne se retrouvent submergés par une vague de dossiers arrivés en dernière minute. Un embouteillage qui les rendrait incapables de traiter toutes les demandes dans les temps et mettrait donc à l’arrêt plusieurs acteurs. Face à cette situation qu’elle juge « préoccupante », l’Esma s’est prononcée en faveur d’une prolongation mais uniquement pour les plateformes déjà régies par un statut local et qui auront déposé leur dossier avant le 1er octobre prochain. Ces conditions visent à atteindre un subtil équilibre: laisser plus de temps aux plateformes tout en les contraignant à accélérer et protéger les épargnants européens.
Des règlements en attente…et des plateformes qui traînent des pieds
Le rapport de l’Esma visait aussi à expliquer le retard pris par le marché dans la course à l’agrément. En premier lieu, elle reconnaît que ce nouvel agrément peut représenter un palier conséquent pour certains pays, notamment ceux qui n’ont pas encore créé de statuts réglementaires. Autre raison avancée : le coût. Sur le plan financier, l’agrément n’est pas très onéreux (2.550euros par an), mais la constitution du dossier nécessite de recourir à des juristes spécialisés.
Les plateformes se défendent en arguant que plusieurs Règlements sur les standards techniques (RTS) sont encore en attente de publication. Enfin, et moins avouable, il se murmure en off que certains acteurs ne seraient pas pressés d’obtenir le nouveau statut, dont certaines contraintes comme la limite de collecte à 5 millions d’euros par porteur de projet et par an, toutes plateformes confondues, sont jugées très pénalisantes.
L’avis de l’Esma est forcément un signal encourageant envoyé à un marché qui peine encore à se mettre massivement en ordre de bataille. Pour autant, la messe n’est pas dite. Le rapport n’est que consultatif, il revient à présent à la Commission européenne de décider ou non de prolonger la période de transition. Dans tous les cas, la France semble peu concernée. Les textes d’adaptation du droit national au règlement européen ont gravé dans le marbre la date du 10 novembre 2022. Les changer nécessitera donc recourir à un véhicule législatif.
«Les plateformes françaises ne doivent pas attendre!»
Greggory Marty, directeur de la division expertise à la direction de la gestion d’actifs à l’Autorité des marchés financiers (AMF)
Seules quatre plateformes ont déposé un dossier d’agrément à l’AMF. Etes-vous inquiet ?
C’est effectivement très peu…Il faut prévoir un délai pour vérifier la complétude des dossiers et les instruire. Le 10 novembre arrivera vite, d’autant que le règlement européen ne nous permet aucune flexibilité. Si le texte prévoyait dès le départ la possibilité de prolonger d’un an la période de transition, les régulateurs locaux n’ont aucune marge de manœuvre pour faire preuve de souplesse une fois la date d’échéance atteinte. Les plateformes concernées qui n’auront pas l’agrément européen devront cesser leur activité de crowdfunding dès le 11 novembre 2022.
Etes-vous en faveur d’une prolongation de la période de transition ?
Les dates ne sont pas entre nos mains et pour l’instant rien n’est joué. La Commission européenne (CE) doit dire si elle suit ou non les recommandations de l’Esma, ce qui n’est pas certain. J’invite les plateformes françaises à ne pas attendre car il y a toujours le risque que la CE n’accorde pas de délai supplémentaire. En se précipitant au dernier moment, elles créeraient un goulot d’étranglement qui pourrait ralentir l’instruction des dossiers. Et quand bien même la Commission suivrait l’avis de l’Esma, il faudrait que le législateur français modifie la date à laquelle le régime national actuel prendra fin, figurant dans l’ordonnance.
L’inscription de la date du 10novembre dans l’ordonnance française complique toute prolongation de la période de transition. Etait-ce nécessaire ?
Oui car les anciens statuts seront supprimés, ou profondément revus pour le statut d’Intermédiaire de financement participatif (IFP), avec l’arrivée de celui de PSFP. Il fallait donc prévoir la date d’échéance actant leur disparition.
Les Règlements techniques standards (RTS) ne sont toujours pas validés. Les acteurs n’ont-ils pas raison d’attendre ?
Que ce soit ou non la raison de leur retard, attendre la publication définitive de ces textes n’est pas une bonne idée. L’Esma a déjà publié la version définitive de son projet de RTS en novembre dernier. Certes, il est en attente de validation par la Commission européenne, mais les plateformes peuvent à ce stade se baser dessus pour constituer leurs dossiers d’agrément.
Au risque d’avancer à l’aveuglette ?
L’Esma publie un Q&A pour répondre aux questions relevées par le marché. De notre côté, nous nous efforçons d’accompagner les acteurs français tout au long de cette période de transition. Il y a eu deux ateliers pour préciser certains points avec eux. L’AMF prend le temps de les accompagner.
Certaines plateformes regrettent que l’AMF leur impose de faire certifier leurs comptes chaque année par un Commissaire aux comptes, ce qui ne serait pas imposé par le règlement…
Le règlement pose des exigences prudentielles. Nous nous en tenons au texte, nous ne cherchons pas à le surtransposer. Faute de pouvoir s’appuyer en France sur des « états financiers annuels validés par les autorités de surveillance nationales», seuls des « états financiers annuels vérifiés » nous paraissent possibles. Néanmoins, la question a été portée à l’Esma pour s’assurer de la cohérence des lectures des différents régulateurs compétents.
La limite de collecte à 5millions d’euros, par porteur de projet et par an, toutes plateformes confondues, est également très critiquée…
De même, il s’agit de l’interprétation littérale du texte. Mais cette question a aussi été portée à l’Esma dans un objectif de convergence des pratiques.
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