Lutte contre la fraude : l’IA n’est pas encore une réalité

Par Adrien Basso-Blandin, Lead Data-Scientist chez Finexkap
En 2018, une entreprise sur cinq a été visée par plus de dix tentatives de fraude, contre seulement une sur dix l’année précédente. C’est ce qu’a révélé l’une des dernières enquêtes d’Euler Hermes, acteur référent de l’assurance-crédit. Qu’elle soit due à un manque de sécurité dans les systèmes d’information ou à de la manipulation des clients, la fraude ne cesse de prendre de l’ampleur et pénalise durement les entreprises de tout secteur. Un phénomène encore renforcé par le boom du e-commerce et de l’achat en ligne, terrain propice notamment aux escroqueries aux moyens de paiement. Pourtant, l’enquête pointe du doigt que seules quatre entreprises sur dix ont alloué un budget spécifique pour faire face à ce risque de fraude et de cybercriminalité. Qui plus est, les entreprises prenant à bras le corps le problème utilisent encore majoritairement des approches algorithmiques anciennes, avec des systèmes de scoring, de monitoring ou d’analyse financière qui ont certes su faire leurs preuves mais qui ne reflètent pas forcément l’évolution de l’état de l’art. A l’heure où les possibilités offertes par les nouvelles technologies, et en particulier l’intelligence artificielle, ne cessent de s’ouvrir, la réalité au cœur des entreprises est encore toute autre.
Faire le virage de la data, un pari pas si simple
Certes, comparées aux méthodes traditionnelles, les applications issues de l’intelligence artificielle permettent d’améliorer considérablement le temps de détection et le périmètre de contrôle de la fraude, mais aussi de diminuer les frictions dans le parcours utilisateur. Cependant, qui dit IA, dit traitement de la data. Et c’est là où le bât blesse, principalement. En effet, avant même de penser à implémenter de l’IA dans ses systèmes, il s’agit pour les entreprises de se constituer des bases de données saines et structurées. Un prérequis qui découle d’un travail absolument titanesque de traitement, d’analyse et de structuration, coûteux en temps, en argent mais aussi en compétences. Car même si une appétence pour ces nouveaux métiers se fait sentir chez les jeunes talents, dont témoigne l’explosion du nombre de formations spécialisées en Data Science., les experts « data » restent encore une denrée rare, loin d’être à la portée de toutes les entreprises. Ce travail de la donnée représente donc un vrai coût d’opportunité pour des sociétés encore trop peu « data driven ». Un coût qu’elles estiment bien souvent trop élevé. Cette situation explique pourquoi aujourd’hui les entreprises possédant des masses conséquentes de data ont rarement entamé le virage nécessaire à leur traitement. Et même si ces dernières tentent de se faire accompagner, elles se retrouvent là encore face à un blocage : le manque de solutions adéquates proposées par les prestataires du secteur, positionnés soit dans l’ultra-spécialisation, soit dans la globalisation à l’image d’un IBM à la compétence technologique de pointe mais qui reste trop éloigné de problématiques métiers précises.
Vers une plus grande démocratisation des outils
Tout n’est pas pour autant perdu, loin de là. Après tout, en prenant un peu de recul sur le cours de l’histoire, les entreprises ont déjà su faire un bond technologique gigantesque en moins de 20 ans. Pour que l’IA devienne maintenant une réalité dans leur lutte quotidienne contre la fraude, une étape indispensable est celle de la pédagogie face à des technologies qui ne sont aujourd’hui comprises que par des cercles restreints d’experts de la data. A titre d’exemple, seules 18% des entreprises utilisent aujourd’hui des techniques de « text mining »[1], appartenant au domaine de l’intelligence artificielle, comme les technologies d’OCR (reconnaissance optique de caractères) et de recherche sémantique. Et ce, en raison d’une méconnaissance des outils disponibles qui perpétuent le travail humain sur des tâches chronophages et à faible valeur ajoutée. Face à une telle marge de progression, on ne peut qu’espérer une accélération de la démocratisation de ces méthodes dans les années à venir.
Les prestataires de services ont tous leur rôle à jouer dans ce processus de compréhension et de mise à disposition des technologies. Déjà, des acteurs comme Ingenico ou Paypal proposent aux petits e-commerçants des outils de détection de fraude clé en main. Pour convaincre les entreprises et rendre ces technologies attractives, la bataille va désormais se jouer autour de l’expérience client, notamment lors de l’onboarding, et la proposition de services à valeur ajoutée. Car ce que les entreprises cherchent, au-delà de la seule quantification de leur seuil de fraude, c’est la valeur à tirer de la connaissance de la donnée en termes d’opportunités commerciales et d’augmentation du chiffre d’affaires. Car in fine, c’est là le but à la fin de la journée.
[1] Source : Rapport de l’ACFE “Anti-fraud technology : benchmarking report” - 2019 https://www.acfe.com/uploadedFiles/ACFE_Website/Content/resources/Benchm...
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