Le paiement instantané n’a pas encore révolutionné les usages des entreprises

Attendus comme un bouleversement majeur, les paiements instantanés sont peu adoptés. Banques et entreprises doivent d’abord ajuster leurs propres systèmes pour en tirer bénéfice, sans oublier la tarification.
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La première table ronde d’Universwiftnet, le salon de la relation banques-entreprises organisé par L’Agefi à Paris le 4 juin, était intitulée «Un jour sans fin ? Comment l’instantanéité des paiements va transformer la gestion de trésorerie». Force est de constater que les changements importants liés à l’instantanéité restent à venir.

Le règlement européen du 13 mars qui généralise le virement instantané devrait accélérer les choses. En phase avec les grands objectifs du G20, comme la facilitation du commerce international et l’élimination des cut-off et autres ruptures temporelles, ce règlement oblige toutes les banques de l’Union européenne à traiter les virements instantanés en réception dès janvier 2025 et en émission au plus tard en octobre 2025, comme l’a rappelé Ouannessa Aissaoui, directrice des paiements chez HSBC France. Il n’y aura plus de plafond, la tarification ne devra pas dépasser celle du virement classique. Et, nouveauté : le règlement introduit la confirmation de l’Iban du bénéficiaire.

«Si l’instantanéité est un sujet générationnel, comme l’a souligné Philippe Pénichou, directeur de l’activité paiements et cash management chez Société Générale, d’autres pays ont lancé des systèmes de paiement instantané depuis longtemps comme le Royaume-Uni avec Faster Payments System en 2008. L’Europe a créé le sien en 2017 et les Etats-Unis ont attendu 2023 pour mettre en place FedNow.» Et pourtant, l’adoption par les corporates reste limitée, car tous les systèmes de gestion des paiements ont été conçus pour fonctionner par lots (en batch). Il reste donc à construire un nouvel écosystème autour du paiement instantané. Mais aussi à harmoniser les pratiques : la tarification, en particulier, mais aussi la gestion de la liquidité ou encore les plafonds.

Des systèmes efficaces en Inde et au Brésil

En revanche, le paiement instantané a été massivement adopté en Inde qui a souhaité en faire un outil de remplacement des espèces et un outil d’inclusion financière. D’abord avec un système de règlement en temps réel pour les grands montants en 2004, qui a été amélioré en décembre 2020 et plus récemment avec UPI pour les échanges entre particuliers ou en B2C.

Le Brésil a créé PIX en 2019 avec la même volonté d’inclusion pour les individus et les entreprises mais celles-ci préfèrent encore Boletos, un autre dispositif dédié aux entreprises et moins cher que PIX pour elles. Enfin, GPI de Swift a permis d’arriver à 90% des paiements transfrontaliers réalisés en moins d’une heure, et l’objectif est désormais de rendre interopérables les différents systèmes de paiement instantané. Un prototype a été réalisé en Espagne pour relier le correspondent banking et Iberpay afin d’accorder les banques avec l’immédiateté du modèle européen de paiement instantané.

Des entreprises intéressées

Pour Armand du Chayla, directeur financier de Brittany Ferries, l’intérêt du paiement instantané est dans la réduction des coûts, notamment dans le domaine du B2C. Mais il est aussi dans la possibilité de débloquer plus rapidement certains navires coincés dans des ports lointains. Pour Jacques Molgo, directeur financier adjoint d’Air Liquide, l’instantanéité peut être importante pour accélérer la livraison de gaz utilisés dans la santé. D’ailleurs, «GPI a été un saut quantique», estime-t-il. Toutefois, cela ne résout pas tout.

Pour les banques, les paiements instantanés posent la question de la gestion de la liquidité : un grand montant, plusieurs centaines de millions d’euros envoyées en un virement, ne pourra pas être traité simplement par la banque réceptrice. Et même si les virements instantanés se généralisent, des limites devront être posées, sur des plages horaires et dans les montants. «En Europe, le SCT (le virement Sepa, ndlr) est limité à un milliard d’euros, en France à 100 millions d’euros», a expliqué Philippe Pénichou, pour qui un paiement urgent sur Target2 est sans doute plus indiqué.

Ces difficultés devraient se résoudre grâce à la technologie, et notamment à l’intelligence artificielle, a répondu Ouanessa Aissaoui. Notamment pour gérer les paiements de masse. En revanche, l’IA ne pourra certainement pas anticiper les pics ou les évolutions soudaines. Mais de nouveaux outils devraient contribuer à faciliter l’adoption des paiements instantanés, comme le nouveau service Cash Reporting de Swift ou Score+. Ils apportent une information plus riche, davantage de traçabilité et une pré-validation en amont.

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La gestion de la liquidité devra s’adapter

Les entreprises sont aussi sensibles au coût des paiements instantanés, acceptable si le paiement est réellement urgent. Mais le sujet de fond reste la sécurité qui ralentit les possibilités de passer à des flux instantanés gérés automatiquement.

Côté banques, on est confiant dans l'émergence de la mutualisation de trésorerie, ou cash pooling, et d’instruments facilitant la gestion des liquidités. Mais la transition sera complexe car les systèmes comptables des PME comme des grandes entreprises ne gèrent pas l’instantanéité. Le régulateur pourrait néanmoins accélérer les choses. En admettant que les paiements deviennent totalement instantanés, de nouvelles questions se poseront : comment les banques pourront-elles se rémunérer sur un découvert de quelques secondes ? Un sujet qui touche non seulement les banques commerciales, mais aussi les banques centrales. Tout un écosystème doit se réinventer.

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