Quelle gouvernance pour le climat ?

La question a été tranchée : les entreprises françaises n’auront pas à soumettre leurs plans climat au vote consultatif de leurs actionnaires. Elles devront cependant réfléchir à la gouvernance appropriée pour que le conseil d’administration se saisisse efficacement de la question, estime Jean-Christophe Devouge, avocat associé chez PR associés.
Jean-Christophe Devouge, avocat associé, PR associés
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Comment donner plus de poids aux enjeux climatiques et environnementaux dans la gouvernance ?  -  Crédit Fotolia.

Passera, passera pas ? Le say on climate a marqué l’actualité au cours de ces derniers mois. Adopté contre l’avis du gouvernement le 21 juillet 2023, l’amendement n°483 au projet de loi industrie verte instituant un say on climate consultatif pour les sociétés cotées a finalement été retiré début octobre.

Dans le détail, le dispositif proposait d’instaurer, pour les seules sociétés cotées sur un marché réglementé, l’obligation, pour leurs conseils d’administration, d’établir une «stratégie climat et durabilité» soumise à un vote consultatif, tous les trois ans pour la stratégie elle-même et tous les ans pour sa mise en œuvre.

Vote obligatoire, mais consultatif – transformé par abus de langage en «mécanisme non contraignant» – la généralisation du say on climate, déjà pratiqué sur une base volontaire par certains émetteurs, avait pour objectif de renforcer le dialogue avec les investisseurs sur les questions climatiques.

L’aboutissement inachevé d’un long processus, marqué notamment par les travaux du Haut Comité juridique de place reconnaissant que la possibilité pour les actionnaires de voter sur la stratégie climatique au moyen d’un vote consultatif ne heurtait aucune règle juridique. En particulier, était respecté le principe de hiérarchie des organes sociaux, d’après lequel c’est au conseil d’administration qu’il appartient de déterminer la stratégie.

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Mécanisme d’avant-garde pour ses promoteurs, plus ambitieux que la «présentation» triennale de la stratégie climatique prévue par le code Afep-Medef, celui-ci n’a toutefois pas résisté face à l’impératif de préservation de l’attractivité de la Place. Si la question est complexe, il est vrai qu’imposer une nouvelle sujétion aux seuls émetteurs dans un contexte de désaffection de la cote semblait quelque peu à contretemps. L’occasion de souligner l’enjeu pour le législateur d’évaluer systématiquement de tels projets à l’aune notamment de la compétitivité des marchés.

Le dispositif n’était pas non plus exempt d’interrogations. Difficultés d’interprétation quant à l’exigence de «prise en considération» par le conseil d’un rejet, risque que certains investisseurs se saisissent du vote en assemblée pour manifester à bon compte un positionnement «vert», limites d’une approche one size fits all peu adaptée pour nombre d’émetteurs. Le «tempo» interpellait aussi alors que le reporting durabilité prévu par CSRD et toutes les obligations qui l’entourent commencent à peine à se mettre en place. A suivre enfin la logique de ses défenseurs, on pouvait même douter de la capacité «disruptive» du dispositif pour provoquer les transformations escomptées en termes de stratégie climat des entreprises.

A cet égard, et alors que les échéances climatiques sont presque déjà là, la question demeure de la nécessité d’instaurer des mécanismes de gouvernance spécifiques pour assurer l’atteinte des objectifs climatiques, au-delà des efforts déjà engagés tenant par exemple à la formation des administrateurs ou à la corrélation accentuée entre objectifs climat et rémunérations des dirigeants.

Les regards se portent alors vers le conseil d’administration, responsable de la stratégie ; à défaut de say on climate, les investisseurs les plus actifs et adeptes du rapport de force pourraient vouloir souhaiter recourir à un moyen d’action bien plus direct qu’une consultation, en modifiant la composition même du conseil pour désigner des administrateurs «pro-climat».

L’intérêt d’un comité des parties prenantes doit être analysé

Si certaines initiatives sur ce plan ont pu avoir lieu, leur succès est toutefois mitigé, faute le plus souvent de recueillir une adhésion suffisante. Pour faciliter la constitution de vastes coalitions susceptibles d’emporter une majorité (ou rendre sa menace crédible), certaines voix appellent alors à écarter le risque de l’action de concert en cas de coopération entre actionnaires visant à désigner des administrateurs dont l’agenda serait d’abord et avant tout «climatique». Droit boursier oblige, le risque de qualification d’action de concert – particulièrement élevé en cas de coopération entre actionnaires pour désigner de nouveaux administrateurs – est en effet très dissuasif, notamment par l’obligation qu’il peut entraîner pour les actionnaires concernés de devoir déclencher une offre publique obligatoire.

Adieu le say on climate, bienvenue le concert climatique ? La proposition est séduisante, notamment parce qu’elle pourrait encourager les investisseurs les plus actifs à s’impliquer directement dans la gouvernance, en cohérence avec l’intensité affichée de leur engagement. L’irruption au sein du conseil, instance par essence collégiale, d’administrateurs labellisés «climat» peut néanmoins susciter une appréhension. Aux risques de blocage, voire de déresponsabilisation des autres membres sur les sujets climatiques, s’ajoute celui que l’enjeu climatique serve de faux-nez à des tentatives de déstabilisation ou de prise de contrôle.

Comment alors donner plus de poids aux enjeux climatiques et environnementaux dans la gouvernance ? Une piste pourrait être de confier à un comité indépendant, distinct du conseil, la mission d’examiner la stratégie et les progrès réalisés sur ces sujets. Composé d’experts, il rendrait compte chaque année de ses travaux aux actionnaires. Déjà engagé par certains acteurs (Bayer par exemple), une telle organisation fait espérer un dialogue plus transparent, constructif et efficace. Un dispositif plus responsable ?

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