
La «gig economy» dévoile sa fragilité

Coup de théâtre : mardi, Uber Technologies a fait une offre de rachat à la start-up américaine de livraison de repas à domicile Grubhub, et lui a proposé une fusion par échange d’actions. Rien n’est fait pour l’instant – les discussions sont en cours – mais Uber, déjà présent dans la «food delivery» avec Uber Eats, mettrait la main sur une des pépites américaines du secteur. Elle était valorisée hier 5,4 milliards de dollars (près de 5 milliards d’euros) au moment de la suspension de son action – qui venait de grimper de 25% à cette annonce. Bien loin de Uber, certes, qui a une capitalisation d’environ 54 milliards de dollars.
C’est en tous cas un nouveau révélateur des soubresauts que connaît l’écosystème de la «gig economy» (l’économie des petits boulots, à la tâche), mis en difficulté lui aussi par le coup d’arrêt porté par la pandémie de coronavirus. Ces dernières semaines, Airbnb, Uber, TaskRabbit, DoorDash, et d’autres plates-formes numériques ont chuté en Bourse, annoncé des plans sociaux, et des résultats mitigés. Elles qui ont pour point commun d’avoir transformé, en dix ans, les modes de transports urbains, la livraison à domicile, et de recourir à de multiples travailleurs indépendants.
Cette gig economy gère difficilement sa première récession, alors que les consommateurs dépensent moins en biens non essentiels, et que leurs voyages – et déplacements – sont extrêmement limités. «Tout ce qui est lié à la mobilité et au tourisme est touché. Est-ce que c’est le modèle économique de ces start-up qui est atteint, ou sont-elles dans les mauvais secteurs ?», interroge Benoît Flamant, gérant chez Corraterie Gestion, société de gestion patrimoniale basée à Genève.
Airbnb et Uber licencient massivement
Le 5 mai, Airbnb a annoncé qu’il allait licencier 25% de ses effectifs cette année. La plate-forme de réservation de logements a vu son cœur de métier atteint par la pandémie. «Le tourisme mondial a été immobilisé», expliquait alors Brian Chesky, son CEO et cofondateur. Son chiffre d’affaires devrait être moitié moindre que celui réalisé en 2019.
Les comparaisons avec l’an dernier seront aussi difficiles pour Uber et Lyft, les deux leaders américains du véhicule avec chauffeur (VTC). Déjà l’an dernier, ils ont dû convaincre les investisseurs qu’ils pouvaient atteindre la rentabilité après des débuts plus que mitigés à Wall Street. La pandémie a renforcé les doutes des marchés à leur égard.
De fait, Uber Technologies a présenté mercredi dernier un plan de réduction de 14% de ses effectifs. Il a annoncé le lendemain 2,94 milliards de dollars de pertes nettes et 3,54 milliards de dollars de chiffre d’affaires au titre du trimestre écoulé, contre 1,09 milliard de dollars de pertes et 3,1 milliards de chiffre d’affaires un an auparavant. Alors que les analystes tablaient sur une perte nette deux fois moindre, de 1,38 milliard de dollars.
Certes, Uber sauve la mise avec son activité de livraison à domicile via Uber Eats, qui a profité du confinement – et d’opportuns partenariats, comme avec Carrefouren France. Uber Eats a vu ses recettes brutes bondir de 52% sur la période, à 4,68 milliards de dollars.
Les analystes de Bank of America prédisent que le secteur des VTC pourrait perdre jusque 80% de son activité dans certains marchés sur ce second trimestre. «Uber et Lyft sont confrontés à des défis herculéens au vu de la nouvelle réalité, qui va changer les modèles économiques de ces sociétés dans un futur proche», indiquait Daniel Ives, analyste chez Wedbush Securities, dans une note d’analyse récente. Il prévoit que 30% des revenus de la gig economy pourraient disparaître d’ici un à deux ans, et que cette part ne sera jamais regagnée, alors que les comportements changent.
Difficultés dans la «food delivery»
Dans la livraison de repas à domicile, secteur a priori porté par le confinement, Deliveroo, Doordash, GrubHub et consorts déchantent. De fait les marges réalisées sont très faibles, et le secteur est trop encombré. «Cela a empiré début 2018 quand le conglomérat japonais Softbank (pourtant actionnaire d’Uber) a injecté d'énormes sommes d’argent dans DoorDash, alors en grande difficulté», remarque Benoît Flamant. Que GrubHub soit avalé par Uber serait donc logique.
La crise liée au Covid-19 a aussi servi de révélateur des problèmes structurels que connaissaient déjà ces stars de la gig economy, presque toutes déficitaires. «Il y avait une bulle dans le private equity. Airbnb et Uber auraient dû se coter plus tôt, se frotter aux marchés financiers : cela les aurait obligées à être rentables plus tôt», estime Benoît Flamant.
Autre épine pour ces jeunes sociétés, le droit du travail. Plusieurs d’entre elles ont été assignées en justice dans certains pays à propos du statut de leurs travailleurs, qui veulent être reconnus comme salariés. Le procureur de Californie vient d’assigner Uber à ce sujet. Uber a aussi fait l’objet d’une décision de la Cour de Cassation en France en mars, qui a jugé «fictif» le statut de travailleur indépendant et a requalifié en contrat de travail la relation d’Uber avec l’un de ses chauffeurs. Uber va devoir adapter ses contrats. Le spécialiste de la livraison de repas Deliveroo est pointé du doigt en France à ce sujet.
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