
Grandeur et décadence des super-PDG

Carlos Ghosn a chuté dans le pays qui l’a fait roi. La gravité des accusations portées au Japon contre le patron de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, soupçonné d’avoir masqué une partie de sa rémunération aux yeux des autorités boursières et d’avoir utilisé des ressources de Nissan à des fins personnelles, jette à terre l’un des managers les plus iconiques du début de ce siècle. S’il est encore trop tôt pour connaître tous les tenants et aboutissants de cette ténébreuse affaire, c’est aussi à son aune que l’on jugera l’héritage laissé par celui qui sauva Nissan de la faillite et redonna à la régie son lustre d’antan.
Le scandale n’est pas sans rappeler, dans des registres différents, ceux qui ont poussé WPP à se séparer au printemps de Martin Sorrell, et Tesla à scinder cet été les fonctions de son fondateur Elon Musk. Le point commun entre ces trois sociétés ? La concentration des pouvoirs entre les mains d’un directeur général ou d’un super-PDG dont nul ne saurait contester l’aura. Parce qu’un Carlos Ghosn a fait de l’alliance un cas d’école étudié dans toutes les écoles de commerce, parce qu’un Martin Sorrell a bâti en trente ans un leader mondial de la publicité, parce qu’un Elon Musk a démontré ses talents de visionnaire dans des secteurs aussi divers que le paiement en ligne et la voiture électrique, les voilà incarnant l’entreprise à outrance. L’idée que cette dernière ne leur survivrait pas gagne insidieusement les esprits. Des signaux doivent servir d’avertissement : l’incapacité d’un grand patron à faire émerger un successeur, ou encore des niveaux de rémunération manifestement déconnectés des performances, que les actionnaires ont d’ailleurs souvent pointés du doigt sans trouver dans des conseils d’administration déférents le relais qui leur était dû.
Ces cas renvoient à la responsabilité collective de la communauté financière mais aussi des médias, prompts chacun dans leur domaine à élever au rang de divinités mythologiques de simple mortels portés par leur hubris. Ce travers s’appuie sur des biais cognitifs bien connus tels que l’effet de halo ou la propension à attribuer ses succès à ses qualités personnelles et ses échecs à des facteurs externes. Le culte de la personnalité économique va d’ailleurs bien au-delà des entreprises : les banquiers centraux sont eux aussi révérés désormais comme des démiurges dont les investisseurs boivent chacune des paroles. Or ces excès de pouvoir et cette personnalisation à outrance, que l’essor des géants de la Silicon Valley inscrit davantage encore dans l’imaginaire commun, finissent toujours par présenter leur facture à l’investisseur. Il n’est qu’à voir aujourd’hui la situation dramatique de General Electric après 16 ans de règne d’un Jeff Immelt longtemps porté aux nues. Face au vertige des sommets, il n’a jamais paru si urgent de faire vivre le « G » des critères d’investissement environnementaux, sociétaux et de gouvernance.
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