
Stopper l’inflation sans tuer la croissance, la mission impossible des banques centrales

Annus horribilis. L’année 2022 s’annonçait rude pour les marchés financiers, les banques centrales devant resserrer la politique monétaire pour juguler une inflation au plus haut depuis trois décennies (moyenne mondiale, pondérée par les PIB, proche de 8%).
Situation aggravée par un double choc, exogène et stagflationniste : les confinements en Chine, où la politique «zéro Covid» persiste après 2,5 années de pandémie (!), cassent la croissance locale et abîment encore la chaîne d’approvisionnement globale ; la guerre russe en Ukraine fait flamber le prix des matières premières, de l’énergie aux métaux de base, céréales et fertilisants. Une tempête parfaite : un portefeuille global 60/40 d’actions et obligations en dollars a perdu près de 12% depuis début 2022 (+8,8% en 2021 et +14% en 2020).
Les banques centrales font désormais face à une mission impossible : juguler l’inflation sans causer un atterrissage forcé de l’économie. La Réserve fédérale (Fed) a adopté depuis décembre un ton de plus en plus menaçant. De sorte que le marché anticipe désormais entre 250 et 275 points de base (pb) de hausse des taux cette année, en sus du resserrement quantitatif (QT) qui débutera en mai et est annoncé à un rythme forcené de 95 milliards de dollars par mois. Le marché anticipe un pic du taux directeur autour de 3,25 %-3,50 % en septembre 2023. Cela impliquerait 325 pb de hausse en dix-huit mois, soit presque autant, si l’on inclut l’équivalent-taux du QT, que les 425 pb entre 2004 et 2008, record depuis Volcker.
Cet ajustement présumé s’explique par une inflation inacceptable et une politique follement accommodante au départ. Il est écrit qu’un resserrement aussi rapide plombera la croissance. Si les Etats-Unis sont moins exposés que l’Europe à la crise en Ukraine, l’économie fait quand même face à la forte hausse concomitante des prix de l’énergie, des taux longs et du dollar, qui sont des indices précurseurs de l’activité manufacturière. D’ores et déjà, nonobstant le rythme exact de la Fed, il fait peu de doute que l’ISM manufacturier, encore à 57,1 en mars, va chuter vers ou sous les 50 dans les six prochains mois.
Le marché anticipe aussi que la Banque centrale européenne (BCE) relèvera trois fois ses taux de 25 pb en 2022. Les faucons de la BCE appellent à une première hausse dès juillet, malgré un ralentissement brutal de la croissance. Nous avons, dès début mars, réduit nos prévisions de croissance à 2,2 % en zone euro, soit presque rien si on considère l’acquis de croissance de 1,9 %. La BCE doit revoir sa copie : ses prévisions pour 2022 affichaient encore 3,7 % à sa dernière mise à jour, le 10 mars ! Si l’on juge du cycle à travers l’enquête Sentix auprès des investisseurs, la zone euro est passée d’une phase d’expansion en février (situation économique présente et anticipations à six mois positives) au ralentissement en mars (anticipations négatives) puis à la récession en avril (les deux composantes désormais négatives). La posture européenne envers la Russie est sans doute courageuse, mais particulièrement destructrice de croissance à court terme.
Panique inflationniste
Nous soupçonnons que la Fed et sans doute la BCE ne pourront délivrer autant. La Fed devrait relever ses taux de 50 pb (chacun) les 4 et 15 juin, mais ensuite réduire le rythme à mesure que l’économie faiblit. Cette accalmie ainsi que la fragilité financière due à une conjoncture en berne limiteront la hausse des taux longs.
Les rendements longs Bund restent certes biaisés à la hausse, car les primes de terme restent basses. Nous conservons mais réduisons notre sous-pondération en obligations gouvernementales et en duration. Nous restons longs sur le crédit, la hausse des taux sans risque et l’écartement des spreads offrant un portage attractif ; le potentiel d’écartement des spreads investment grade (IG) est limité, sauf scénario de récession bien plus sévère. Les spreads corporate IG sont généreux par rapport aux spreads souverains. Cette surpondération est toutefois défensive : dette investment grade et subordonnée plutôt que pure high yield, non financière plutôt que financière, et secteurs défensifs plutôt que cycliques.
Depuis l’invasion russe, nous avons réduit l’exposition en actions à sous-pondérée. Les actions se comportent souvent bien au début du cycle de hausse de taux, surtout parce que l’économie est alors bien orientée. Notre inquiétude est précisément que le ralentissement va se produire prématurément, sous l’effet des chocs exogènes, qui ont placé la Fed dans une sorte de panique inflationniste.
Les valorisations actions se sont déjà bien dégonflées, mais la hausse des coûts et le ralentissement cyclique pèseront sur les marges et profits. Les cycliques ont déjà nettement sous-performé les défensives, mais restent exposées à la forte chute des PMI et ISM manufacturiers. Heureusement, les investisseurs ont intégré tant de mauvaises nouvelles, sur les hausses de taux et le ralentissement, qu’une débâcle financière est improbable. Mais leur positionnement ne s’est pas ajusté aussi vite que leur sentiment : les retraits des fonds actions observés à mi-avril risquent de se poursuivre à court terme.
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