L’objectif de faire baisser les taux longs américains est une utopie

La hausse des taux longs est en partie alimentée par la prime de terme qui remonte ces dernières années. Ce mouvement devrait continuer ; il marque un renversement de tendance par rapport à ce qui avait été observé pendant plus de 40 ans.
Chef économiste de BNP Paribas Fortis et co-auteur du livre ‘Les Cinq Tendances de la Nouvelle Économie Mondiale’
Koen de Leus.jpg
Koen De Leus, chef économiste chez BNP Paribas Fortis  - 

«L’objectif est de faire baisser les taux d’intérêt américains à long terme», a expliqué le secrétaire au Trésor Scott Bessent lors de son interview avec Fox News. Néanmoins, depuis la mi-septembre, les taux américains à long terme ont grimpé de 1 point de pourcentage pour atteindre un pic de 4,8%. En janvier. Nous sommes à un cheveu du sommet de 5% de 2007. L’explication cyclique est que la Réserve fédérale a mis les futurs abaissements de taux au frigo. Ce qui est moins visible, c’est la hausse structurelle de la prime de terme ces dernières années. Les investisseurs se rendent compte que nous sommes entrés dans une nouvelle économie mondiale, marquée par plus d’incertitude et de chocs. Ils exigent une rémunération en contrepartie, ce qui a inversé la tendance baissière de la prime de risque observée depuis 40 ans.

Qu’est-ce, précisément, cette prime de risque ou prime de terme ? Le taux nominal est composé des prévisions d’inflation et du taux réel à long terme. Ce taux réel est quant à lui la somme des taux à court terme actuels et de tous les taux à court terme attendus dans le futur – la politique monétaire – et d’une prime de risque. Cette prime offre une compensation aux investisseurs qui détiennent des obligations à long terme pendant toute la durée de celles-ci, au lieu d’acheter des obligations à court terme successives.

L’importance des chocs géopolitiques

Plus les chocs futurs seront nombreux, plus l’évolution attendue de la politique monétaire et de l’inflation sera incertaine et plus la prime de risque sera élevée. Quelle est la probabilité que, au cours de cette période, la croissance structurelle, les prévisions d’inflation, la demande ou l’offre d’obligations changent ? Les récents développements géopolitiques risquent de réduire les flux commerciaux. S’il y a moins de transactions, cela entraîne une hausse du risque d’inflation et de la prime de risque. Les banquiers centraux doivent donc aussi réinvestir moins de réserves de devises. La demande d’obligations d’État américaines est déjà sous pression auprès des concurrents géopolitiques à la suite du gel des actifs américains au sein des réserves monétaires russes.

Dans la nouvelle économie mondiale, les chocs sont la nouvelle «norme». «La fin de l’inflation», titrait le Bloomberg Businessweek en avril 2019, après quoi le Covid avait ressurgi. La plupart des observateurs pensaient qu’il s’agissait d’un choc unique, mais cela n’a pas été le cas. À court terme, il y aura le choc lié à Donald Trump. À un peu plus long terme, plusieurs tendances structurelles entraîneront davantage de chocs et une probabilité accrue d’inflation.

Les barrières commerciales équivalent à une taxe pour les consommateurs et poussent les prix à la hausse.

La politique économique intérieure prévue par Donald Trump ainsi que les tarifs à l’importation sont inflationnistes. Le dernier rapport des attentes d’inflation de l’université du Michigan a montré que les attentes d’inflation à court terme sont passées à 4,3% contre 3,3% il y a un mois, apparemment sous l’effet des actualités sur les tarifs douaniers. Une violation de l’indépendance de la Réserve fédérale – selon Donald Trump, la banque centrale américaine joue à «pile ou face» pour choisir si elle va relever ou abaisser les taux d’intérêt – ébranle la prévisibilité de sa politique monétaire. Avec un Donald Trump isolationniste, la Pax Americana observée depuis 70 ans, une situation où les Etats-Unis étaient la police du monde, va peut-être prendre fin. Sans police, il y a plus de conflits. La paix est désinflationniste, la guerre inflationniste.

Le dividende de la paix va ainsi disparaître. Les pays devront consacrer un peu plus de points de pourcentage du PIB à la défense. Ces dépenses viennent s’ajouter aux déficits budgétaires et aux dettes publiques déjà très élevés. Dans de nombreux pays industrialisés, les dettes publiques sont à leur niveau le plus haut en temps de paix, ou s’en approchent. Des déficits budgétaires plus importants stimulent la croissance potentielle, absorbent les excédents d’épargne grâce à une plus grande offre d’obligations sûres et augmentent les prévisions d’inflation. Ces trois éléments font grimper la prime de risque.

Dettes publiques élevées

Les dettes publiques élevées sont l’une de ces tendances structurelles dont l’impact est de plus en plus important. Une autre tendance, c’est le vieillissement, ou mieux, le grisonnement de la population dans les pays industrialisés. Selon la Banque des règlements internationaux, l’augmentation de la part des personnes âgées et la baisse de la population active feront augmenter l’inflation de 3 points de pourcentage en moyenne sur la période 2010-2050 dans ces pays.

D’autres tendances à long terme ont opéré un virage à 180 degrés ces dernières années, ou sont nouvelles. La mondialisation du commerce relève de la première catégorie. Elle a fait baisser l’inflation et les prévisions d’inflation ces dernières décennies. Les barrières commerciales équivalent à une taxe pour les consommateurs et poussent les prix à la hausse. La transition climatique est relativement récente. Avec son gigantesque besoin d’investissement, ses pénuries de matières premières et ses catastrophes climatiques régulières, elle nous garantit des chocs inflationnistes.

Depuis 2020, la prime de risque est passée de -2% à +0,5%

Au cours de la période 1982-1995, la prime de terme est passée de 4,6% à 1%. De 1996 à 2014, elle oscillait entre 1% et -1% et, depuis lors, elle est restée presque constamment dans le rouge, avec un plancher absolu de près de -2% en 2020. La faible inflation exerçait à l’époque une pression supplémentaire sur les taux nominaux.

Depuis 2020, la prime de risque a bondi, passant de près de -2% à 0,5%. La multiplication des chocs poussera à terme la prime de risque vers sa moyenne à long terme de 2% à 3%. Les taux d’intérêt nominaux à long terme dépasseront alors les taux de ces deux dernières décennies. Le pic de 5% de 2007 aux Etats-Unis sera battu dans le cycle économique haussier actuel ou dans le suivant. Les entreprises qui espèrent refinancer leurs emprunts aux taux d’intérêt historiquement bas de 2010-2021 attendent en vain. La hausse constante de la prime de risque due à l’incertitude croissante et à la multiplication des chocs fait entrer les marchés des taux, et l’économie mondiale, dans une nouvelle ère. L’objectif de Bessent est un mirage.

Un évènement L’AGEFI

Plus d'articles du même thème

ETF à la Une

Contenu de nos partenaires

A lire sur ...