L’exception américaine à l’épreuve des Trumponomics 2.0 et de leurs contradictions internes

Les implications en termes de politique monétaire sont équivoques, estime Hélène Baudchon, cheffe économiste adjointe, responsable Recherche Global Macro, au sein du département des études économiques Groupe BNP Paribas.
Adjointe à la cheffe économiste du Groupe BNPP et responsable de l’équipe OCDE au sein du département des Etudes économiques du Groupe
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Hélène Baudchon, cheffe économiste adjointe, BNP Paribas  -  PIERRE-OLIVIER / BNP Paribas

Depuis le rebond post-Covid, l’économie américaine affiche des performances économiques assez incroyables, une résistance aux chocs qui semble à toute épreuve. Même en 2020, au cœur de la crise du Covid-19, le PIB réel des États-Unis a relativement peu chuté comparativement à ce qui s’est passé en Europe. Et même en étant tombé moins bas, le PIB états-unien a fortement rebondi en 2021. Ensuite, malgré le choc inflationniste et le resserrement monétaire massif pour y faire face, la croissance a continué de tenir plus que bon et de surperformer très clairement l’Europe (cf. graphique). Ainsi, au T4 2024, le PIB réel des États-Unis est 12% au-dessus de son niveau d’avant-Covid du T4 2019 quand celui de la zone euro est 5% au-dessus et celui du Royaume-Uni 3%.

Cet exceptionnalisme américain est visible également dans, et alimenté par, la performance des indices boursiers, globalement imperméables jusqu’ici aux risques, perturbations et incertitudes énormes créés par le programme économique de la nouvelle administration Trump. Les marchés ont été portés par le vent d’optimisme post-élections et l’anticipation de mesures favorables à la croissance et aux affaires. La forte appréciation du dollar américain est une autre illustration de l’exceptionnalisme américain : le billet vert est à la fois soutenu par la surperformance économique des États-Unis et par son statut de valeur refuge en période d’incertitudes.

La croissance américaine est plus solide que celles des grands rivaux européens
La croissance américaine est plus solide que celles des grands rivaux européens  - 

Quelques signaux économiques négatifs ou moins positifs commencent néanmoins à émerger ici et là et ont contribué à dégonfler une partie du «Trump trade». Depuis l’investiture du 20 janvier, les taux à 10 ans ont repris le chemin de la baisse (-36 points de base au 26 février) et ont corrigé toute la hausse enregistrée entre l’élection le 5 novembre et le 20 janvier. Le bitcoin a également perdu de son lustre, de même que le dollar américain, légèrement. Pas l’or, qui continue de voler de record en record, signe des temps incertains actuels.

La baisse récente des taux longs et des indices boursiers est imputable à un début de regain d’inquiétudes sur la croissance américaine, mêlant les caractéristiques d’une stagflation : craintes d’une résurgence de l’inflation du fait des hausses de droits de douane et craintes sur l’emploi et l’activité dues aux effets négatifs de l’incertitude ambiante et aussi aux coupes budgétaires émanant du nouveau DOGE (Department of Government Efficiency). Les implications en termes de politique monétaire sont équivoques : la remontée des anticipations d’inflation plaide pour le statu quo monétaire voire de nouvelles hausses de taux, les risques baissiers sur l’emploi et la croissance pour reprendre les baisses de taux (selon la vitesse à laquelle ces risques baissiers se matérialiseraient). Le tout pèse sur les indicateurs de confiance des ménages, de climat des affaires et les inscriptions hebdomadaires au chômage. Les données récentes du marché immobilier résidentiel n’ont pas été bonnes non plus. Il s’agit encore de signaux épars, qui restent à confirmer mais qu’il faut néanmoins surveiller de près s’ils venaient à s’amplifier. Si le consommateur américain venait en particulier à manquer à l’appel, la croissance américaine verrait disparaître son principal et puissant moteur.

Pencher du mauvais côté

À noter qu’il y a une exception à l’exceptionnalisme américain : l’industrie américaine, dans son ensemble, souffre de difficultés guère moins importantes que l’industrie européenne si l’on en juge la stagnation de la première depuis 2022 et son niveau à peine supérieur à celui de l’avant-Covid-19 (+1% au-dessus du niveau de décembre 2019 en décembre 2024 quand l’indice de la production industrielle de la zone euro est 1% en dessous). Malgré les nombreuses annonces de projets de construction d’usines portées par l’IRA (Inflation Reduction Act) et l’image de dynamisme industriel qu’elles renvoient, la réalité des chiffres, au niveau agrégé, reste moins flatteuse. Joe Biden avait pour objectif de réindustrialiser le pays en soutenant notamment le déploiement des énergies renouvelables, les efforts de décarbonation, en particulier du parc automobile, et de modernisation des infrastructures.

Mais les fruits attendus de ces efforts risquent d’être mis à mal par les objectifs de Donald Trump, qui, s’ils rejoignent ceux de Biden sur l’importance de la réindustrialisation, s’en éloignent drastiquement sur la manière d’y parvenir, en se focalisant notamment sur l’augmentation de la production d’énergies fossiles et en remettant en cause le soutien au verdissement de l’activité. Sans parler de jouer contre son propre camp via les effets négatifs des hausses de droits de douane sur l’industrie américaine.

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D’après nos prévisions, les Trumponomics 2.0 devraient s’avérer plus négatifs que positifs pour l’économie américaine (surcroît d’inflation, des taux plus hauts, moins de croissance) mais sans que cela n’empêche leur mise en œuvre. Qu’est-ce qui pourrait contraindre l’autonomie de Donald Trump dans cette mise en œuvre ? Les marchés financiers apparaissent comme un garde-fou possible. Une révision à la baisse des anticipations de croissance, des potentialités de l’IA, une succession de profit warnings pourraient faire se retourner les esprits animaux qui soutiennent aujourd’hui la Bourse et une chute de celle-ci serait en retour très négative pour l’économie américaine, et probablement pas seulement. De ce point de vue, il faut se méfier de ce qui peut paraître souhaitable. De même en cas de retournement du marché obligataire et de tensions brutales sur les taux longs, qui pourraient être précipitées par le désancrage des anticipations d’inflation dû aux mesures tarifaires et par le durcissement de la politique monétaire (celui-ci pouvant aussi être un déclencheur d’une correction boursière).

Une chute du dollar américain ne serait pas bon signe non plus pour les Etats-Unis, même si elle exaucerait le souhait de Donald Trump. Plus exactement, une baisse du dollar américain n’a pas la même portée si elle a lieu pour de bonnes raisons ou des mauvaises (le même type de questionnement vaut pour la hausse des taux longs). Une bonne raison pourrait être un assouplissement monétaire de la Fed en cas d’affaiblissement de la croissance et sans obstacle du côté de l’inflation. Une mauvaise raison serait un mouvement de défiance dû à une Fed behind the curve face à un dérapage de l’inflation. Dans le premier cas, la baisse du dollar américain s’accompagne d’une baisse des taux longs, dans le second d’une hausse. Dans le premier cas, l’assouplissement combiné des conditions financières permet, en retour, de soutenir l’activité, pas dans le second.

Le coût de l’imprévisibilité

La difficulté de l’analyse et des prévisions est accrue par l’imprévisibilité, le manque de clarté, les contradictions internes du programme économique de Trump et avec la ligne de défense de Scott Bessent, le secrétaire au Trésor. D’un côté, les velléités d’augmentation forte des droits de douane tendent, pour l’heure, à pousser le dollar américain, et potentiellement les taux longs, à la hausse (ainsi que, ponctuellement, le prix du pétrole). De l’autre, Scott Bessent fait entendre sa voix en faveur d’un dollar plus faible, de taux à 10 ans et d’un prix du pétrole plus bas.

Si ce dernier contribuerait à faire baisser l’inflation et les taux, il ne ferait pas forcément les affaires des producteurs américains, incités à forer plus mais encore faut-il que cela soit rentable. La force du dollar américain alimente l’idée d’y remédier par un nouvel accord du Plaza (à Mar-a-Lago cette fois). S’il ne faut rien écarter définitivement, l’obtention d’un tel accord apparaît toutefois assez improbable et irréaliste, compte tenu du plus grand nombre des parties prenantes, de leurs intérêts divergents et parce que, pour l’heure, dollar faible et droits de douane ne peuvent aller de pair (le dollar fort vient compenser les droits de douane). Un affaiblissement marqué de la croissance américaine, à cause des seconds et entraînant dans son sillage le dollar, peut aussi se charger de la réconciliation. C’est un scénario qu’il faut avoir à l’esprit. Ou alors, un deal pourrait être : baisse coordonnée du dollar contre renoncement aux droits de douane. Chiche ?

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