
Les prêts garantis exposent peu les dettes publiques

Les prêts garantis (PGE) ont souvent, notamment dans la zone euro, été la principale réponse publique pour financer les entreprises face à la crise. Ces prêts dont l’Etat prend entre 70% et 90% des risques (100% pour certains au Royaume-Uni) pèsent lourd en France (300 milliards d’euros ; 12,4% du PIB 2019) comme en Allemagne (822 milliards ; 23,9%), en Italie (450 milliards ; 25,2%) ou en Espagne (100 milliards ; 8%), mais n’ont généralement pas été pris en compte dans les évolutions de la dette/PIB – au contraire des baisses de recettes fiscales et des hausses de dépenses directes – parce qu’ils sont censés être remboursés…
Eviter le «soutien abusif»
Pour autant, certaines entreprises commencent déjà à négocier avec leurs banques des remboursements sélectifs, notamment pour celles en difficulté. Quel serait l’effet sur les dettes publiques si la pratique se généralisait ? «Même si c’est tentant, cela semble compliqué d’agir de la sorte : cotée ou non, la société risque de perdre sa notation de crédit, sans parler des risques juridiques, réagit Gilles Moec, chef économiste d’Axa IM. Cela explique que les banques italiennes – déjà confrontées à une crise aigüe des créances douteuses il y a quelques années – aient encore peu relayé les PGE, car elles voulaient s’assurer faire toutes les ‘due diligences’ préalables afin d’éviter que l’Etat ne se retourne contre elles. Le risque d’être accusées de ‘soutien abusif’ en prêtant à des entreprises non soutenables a également pu doucher l’enthousiasme…»
En France, où la banque est directement responsable du prêt, et en Espagne, «il est impossible de monter un PGE pour rembourser un autre prêt», ajoute Stéphane Deo, stratégiste chez LBPAM, pour qui les Etats auront les moyens de contrôler les taux de défauts relatifs des PGE et de sanctionner les écarts statistiques.
Les économistes s’accordent cependant pour dire que les PGE ne seront pas remboursés à 100%. Gilles Moec a donc cherché à évaluer les risques liés à cette dette «contingente» : «Partant du principe qu’ils deviendraient alors des prêts non performants (NPL), nous avons étudié la sensibilité historique des NPL à la croissance du PIB en zone euro, et il ressort que leur nombre augmente de 6% (ou 5% selon la Banque centrale européenne, BCE) à chaque baisse de 1% du PIB.» En prenant pour hypothèse une diminution du PIB de 10% en 2020, la crise augmenterait donc le nombre de NPL d’environ 60%, portant potentiellement le ratio d’exposition des banques de 6,7% des actifs fin 2019 à près de 10,7% en Italie, de 3,3% à 5,2% en Espagne, de 2,5% à près de 4% en France et ailleurs dans la zone euro. «En supposant que la même proportion de taux en difficulté soit observée sur les prêts garantis, le gouvernement italien pourrait voir son déficit augmenter de 2,2% du PIB si l’ensemble de l’enveloppe de 450 milliards était utilisée avec un taux de garantie moyen de 80%», résume Gilles Moec.
Stimulus limité
Les analystes de LBPAM, partis de l’hypothèse d’une multiplication par 3 des défauts constatés après 2008, arrivent à un résultat similaire de pertes potentielles sur les prêts bancaires, équivalentes à 5% du PIB en Italie, dont environ la moitié à la charge de l’Etat. «C’est important, mais pas catastrophique sur un ratio dette/PIB qui dépassera probablement les 150%, note Stéphane Deo. Contrairement à la grande crise financière, les gouvernements ont fait le choix d’aider les banques à stimuler la croissance dès le départ, avec un effet contracyclique, plutôt que de les recapitaliser a posteriori.»
En revanche, les Etats européens peuvent craindre une spirale négative s’ils souhaitaient enclencher un redressement de leurs finances publiques par une politique d’austérité budgétaire comme en 2010 : «La perte serait d’autant plus importante que cela augmenterait les difficultés des entreprises à rembourser leur PGE si on se projette à cinq ans (la maturité des prêts), entraînant une deuxième vague de NPL. Ils sont condamnés (comme la BCE avec les taux) à soutenir l’économie à long terme tant que la garantie existe. Faute de quoi, une partie de l’avantage lié à l’austérité budgétaire pourrait être perdue», poursuit Gilles Moec. Par exemple, une réduction budgétaire de 1% du PIB sur un an réduirait le PIB italien de 0,7%, donc de 3,5% étalés sur cinq ans, ce qui augmenterait les NPL de 20% et ajouterait potentiellement 1,5% (ou 0,3% par an) de déficit public italien via le système de garantie. «Un dernier inconvénient peut être de maintenir sous perfusion des entreprises ‘zombie’ qui participent alors également moins à la croissance», conclut Stéphane Deo.
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