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Les banques centrales n’ont plus le droit à l’erreur

Les banques centrales ont fait de la lutte contre l’inflation un objectif absolument prioritaire. Elles sont résolues à continuer à augmenter leurs taux tant que l’inflation ne retrouvera pas sa trajectoire vers le niveau cible de 2 %, et peu importe les premiers signes tangibles de ralentissement des économies. Le message est clair et martelé à chaque intervention.
Il n’est pourtant pas compris par les intervenants de marchés, qui restent complaisants dans leurs anticipations de hausse de taux à venir. En témoignent les événements de marchés étonnants de 2022, tels que celui de juillet, où le 2 ans allemand est tombé jusqu’à 0,25 % au 28 juillet (contre 2,52 % au 19 janvier) ; ou celui de novembre, lors duquel le 10 ans allemand est passé de 2,20 % le 7 novembre à 1,78 % le 7 décembre. Or, à chaque fois, ces rallys ont été suivi de fortes corrections.
Perte de crédibilité
Faut-il s’en étonner ? Le discours des banquiers centraux ne passe plus. Deux erreurs fondamentales leur ont fait perdre de leur crédibilité. La première a consisté à ne pas être capables de qualifier l’inflation, considérée comme transitoire jusque dans les derniers mois de 2021. Les signaux étaient pourtant bien présents : déséquilibres entre l’offre – contrainte par les goulots d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement – et la demande – stimulée par les plans de soutien des gouvernements et l’excès d’épargne accumulée pendant la période Covid – ; le tout dans un contexte de forte stimulation monétaire.
La deuxième erreur a été de commencer tardivement la normalisation de leur politique monétaire. De fait, malgré son revirement dans le discours dès le printemps, la Banque centrale européenne (BCE) injectait encore 20 milliards d’euros dans les marchés en juin et ne cessait son programme d’achat d’actifs APP (Asset Purchase Programme) qu’au 1er juillet.
Ces deux erreurs ont affaibli la forward guidance des banques centrales et provoqué une très forte volatilité sur des marchés de taux en manque de repères, que l’on constate encore aujourd’hui. En conséquence, les marchés ne semblent entendre que ce qu’ils souhaitent entendre. Aux Etats-Unis, ils intègrent un pic des taux à 5% à la fin du premier semestre suivi d’une première baisse de 50 points de base (pb) au second. En zone euro, malgré la forte révision à la hausse de leurs anticipations de hausse de taux sur 2023, les investisseurs semblent n’avoir compris que partiellement le message de la BCE. En tablant sur un taux terminal à 3,25 % à fin juillet 2023, ils n’intègrent aucune marge de sécurité quant à une nouvelle surprise sur l’inflation.
Ne pas s’arrêter trop tôt
Pour retrouver leur crédibilité et se faire entendre des marchés, les banques centrales doivent éviter une troisième erreur, qui serait de s’arrêter trop tôt, quitte à devoir agir encore plus fortement ensuite si nécessaire. Car les incertitudes restent fortes.
Certes, l’inflation totale ralentit. Aux Etats-Unis, l’indice des prix CPI (Customer Price Index) est ressorti en baisse de 0,1 % sur un mois en décembre. Sur un an, l’inflation décélère, à 6,5 % contre 7,1 % le mois précédent. Elle recule aussi en zone euro, avec 9,2 % sur un an en décembre contre 10,1 % en novembre. Mais aux Etats-Unis, l’inflation cœur a augmenté de 0,3 % en décembre. En Europe aussi, l’inflation sous-jacente accélère encore, à 6,9 % hors énergie et alimentation et à 5,2 % en excluant aussi l’alcool et le tabac. Or celle-ci offre une image plus précise de l’état de l’économie car elle exclut les prix de l’énergie, des denrées alimentaires, de l’alcool et du tabac, qui ont tendance à être davantage volatils que les autres. Elle est de fait un clignotant rouge pour les banques centrales. De plus, il est difficile d’écarter un nouveau scénario de crise énergétique. Les prix peuvent encore rebondir, notamment avec l’effet retard liés à la fin des boucliers énergétiques ou au redémarrage de la Chine au second semestre.
Enfin, d’autres incertitudes planent sur l’année 2023, le contexte géopolitique restant tendu, tant en Europe qu’en Asie. A plus long terme, des facteurs structurels qui vont peser sur l’inflation sont à l’œuvre tels que la re-régionalisation des usines de production, la verticalisation des entreprises, qui ont par ailleurs augmenté leur prix pour préserver leurs marges et ne sont pas prêtes à revenir dessus, ou le financement de la transition énergétique.
Le paradoxe est que si les marchés n’adhèrent pas au discours hawkish des banques centrales sur le taux terminal, doutant probablement de leur indépendance face aux gouvernements en cas de trop grande dégradation de l’économie, ils ne doutent pas de la capacité des banques centrales à contenir l’inflation, comme le montrent les anticipations qui restent bien ancrées, avec le 5Y5Y swap inflation en zone euro à 2,27 % et aux Etats-Unis à 2,44 % au 19 janvier.
Le chemin pour retrouver leur crédibilité ne devrait donc pas être si long, à condition de ne pas faire une troisième erreur de politique monétaire.
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