
Le «sentiment d’inflation» est difficile à cerner

La Fed se veut moins sensible aux chiffres sur l’inflation que sur l’emploi. Mais de plus en plus d’économistes estiment qu’elle pourrait devoir réagir plus vite que prévu via ses achats d’actifs (quantitative easing, QE) et sa «forward guidance» sur les taux si l’indice CPI des prix à la consommation aux Etats-Unis devait demeurer le reste de l’année à 4,2% sur un an comme en avril. L’indice PCE des dépenses personnelles hors aliments et carburants est monté quant à lui à 2,3% fin mars.
«Ce n’est pas le scénario central, mais les marchés se doivent de tout prévoir, même un changement de régime qui entraînerait une nouvelle et dangereuse remontée brutale des taux», rappelle Philippe Ferreira, stratégiste chez Lyxor, estimant que les taux longs actuels (1,63% à 10 ans vendredi) ne reflètent pas la vigueur de l’économie américaine.
Impulsée par la commande publique
A plus long terme, «ce qui compte c’est la perception de l’inflation par les agents économiques car, sur les marchés comme dans l’économie, elle a un côté autoréalisateur», rappelle Christophe Morel, chef économiste de Groupama AM, pour qui le risque d’une inflation durable et non seulement conjoncturelle est réel car impulsée par la commande publique : «A plus long terme, les plans de relance vont financer la transition écologique et soutenir la demande à tous les niveaux ; à court terme, l’American Rescue Plan de 1.900 milliards de dollars est venu, selon moi à contretemps, créer un surcroît de demande sur un choc d’offre qui avait du mal à se résorber et on risque un ajustement par les prix.»
En théorie, ce dernier ne devrait être que temporaire. «D’autant que les marchés oublient l’influence de la Chine, qui freine soudainement sur le crédit et sur le prix des matières premières depuis mai, ainsi que les effets de l’emploi américain, bien au-dessous de son creux de 2009 quand on regarde aussi le taux de participation, ainsi que des loyers, dont l’évolution réelle met du temps à se répercuter dans les chiffres CPI», nuance Albert Edwards, stratégiste Alternative View de Société Générale CIB. Selon lui, une erreur de «sur-appréciation» pourrait aussi être dommageable pour les marchés.
Tout cela s’ajoute à des effets de base dans les statistiques et peut faire bouger les anticipations d’inflation. Que nous disent ces dernières ? Sur les marchés, les swaps 5 ans dans 5 ans ont baissé depuis deux semaines de 2,38% à 2,23%. Et les points morts «breakeven» (différence entre taux nominaux et taux réels constatés dans les obligations indexées, Tips) ont atteint des points hauts en début de semaine dernière (2,95% à 2 ans, 2,77% à 5 ans, 2,56% à 10 ans) mais en envoyant deux messages : celui d’une baisse ensuite, et surtout d’une baisse à très long terme puisque leur niveau diminue avec les maturités. La vue sur ces instruments financiers est cependant biaisée par leur prime de liquidité notable et plus volatile dernièrement que les anticipations d’inflation elles-mêmes.
Crainte des ménages
Les ménages semblent plus inquiets et la dernière enquête sur le sentiment des consommateurs par l’Université du Michigan a vu leur indice de confiance tomber à un creux de trois mois de 82,8 en mai, après 88,3 en avril, essentiellement à cause de leur crainte d’une forte hausse des prix. Après avoir fait la queue dans les stations services à cause du piratage du pipeline Colonial, les Américains – «pour lesquels une forte variation des prix de l’essence a un impact sur les anticipations d’inflation», rappelle l’économiste Brett Ryan chez Deutsche Bank – ont déclaré qu’ils s’attendaient à une augmentation de 4,6% de l’inflation au cours de la prochaine année, le niveau le plus élevé depuis une décennie. Pour 43% des répondants, les prix pourraient augmenter d’au moins 5%.
Si ce sentiment durait plusieurs mois, ils avanceraient probablement certaines dépenses futures induisant un changement de comportement propice à renforcer l’inflation. «Cette combinaison de demande persistante face à la hausse des prix crée le potentiel d’une psychologie inflationniste, qui comprend l’intensification des achats avant de nouvelles hausses de prix ou la demande de salaires plus élevés aux employeurs», a commenté Richard Curtin, directeur de l’enquête, évoquant aussi la demande refoulée et une épargne Covid record.
Les entreprises, «la vision la moins émotionnelle»
«Les entreprises américaines ont peut-être la vision la plus juste et la moins émotionnelle, rappelle Thomas Costerg, économiste US chez Pictet WM, et elles montrent aussi des attentes en hausse record», selon la dernière enquête de la Fed d’Atlanta : 2,8% d’inflation en moyenne sur l’année à venir, après 2,8% de hausse de leurs coûts depuis un an. En même temps, elles se montrent très modérées sur l’influence des niveaux de ventes ou de salaire au cours des 12 prochains mois.
«C’est très difficile d’avoir une vision précise des anticipations d’inflation, même si la synthèse de la Fed de Cleveland me semble intéressante», conclut Albert Edwards, à propos d’un indice d’anticipation d’inflation à 10 ans qui, bien que fortement remonté depuis mai 2020, reste actuellement à 1,57%. Bien loin des niveaux de 2018 ou même des années 2000.
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