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Le risque d’une guerre d’indépendance de la Fed

Ayant deux fois sauvé l’économie mondiale depuis le début de ce siècle, les banques centrales devraient jouir de la gratitude populaire. Pourtant, d’après les sondages de l’institut Gallup, Ben Bernanke, à qui l’on peut attribuer le mérite d’avoir agi rapidement, résolument et sans dogmatisme lors de la grande crise financière de 2008, n’a jamais bénéficié de la confiance d’une majorité de personnes interrogées. Jerome Powell a été salué par l’opinion publique au plus fort de l’action de la Fed pour atténuer l’impact macro-financier de la pandémie, mais il est tombé sous les 50 % d’approbation lorsque le choc inflationniste est apparu et sa popularité n’a par la suite pas bénéficié – bien au contraire – du passage de la Fed à une approche restrictive.
Les banquiers centraux ne sont pas là pour être populaires. Une popularité trop forte pourrait même être un mauvais signal, si par exemple elle reflétait une tendance à vouloir « plaire aux foules » en menant une politique trop accommodante. C’était selon nous le cas d’Alan Greenspan, dont la cote de confiance était souvent supérieure à 70%. Une faible popularité peut toutefois être un problème à l’heure ou pourrait s’annoncer l’une de ces confrontations avec le gouvernement fédéral qui ont émaillé la vie de la Fed. En effet, si l’opinion publique est hostile à la banque centrale, le Congrès pourrait plus facilement se montrer favorable à une remise en cause de l’indépendance de la Fed. Ce n’est pas une inquiétude théorique. En 2018 Donald Trump avait très durement critiqué Jay Powell et publiquement regretté de l’avoir nommé. En cas de victoire du candidat républicain, le conflit pourrait se réveiller avec la mise en œuvre d’un programme inflationniste – la combinaison d’un choc sur les tarifs douaniers avec des baisses d’impôt – à un moment où le marché est davantage sensible aux questions de soutenabilité de la dette publique.
Le président des Etats-Unis choisit le président de la Réserve fédérale parmi les membres du conseil d’administration (les « gouverneurs ») qui disposent d’un mandat de 14 ans. Il peut le révoquer de cette charge, mais ne peut pas l’exclure du conseil. Ce n’est que par convention que le président de la Fed préside également le Comité de politique monétaire (FOMC) qui détermine le niveau des taux. Une solution ouvertement discutée en 2018 était que Powell continue à diriger le FOMC même après avoir été rétrogradé par Trump. Influer sur la Fed dans le cadre institutionnel actuel serait donc assez difficile – peut-être l’une des raisons pour lesquelles Donald Trump n’a pas donné suite lors de son premier mandat.
Risque politique
Il existe toutefois des propositions, dans les cercles proches du parti républicain, pour réformer en profondeur la gouvernance de la Fed par un acte du Congrès. Le «Manhattan Institute» a publié en mars dernier un programme détaillé. Il s’agirait de préciser que tous les gouverneurs sont révocables par le président des Etats-Unis, mais aussi que «le contrôle présidentiel accru sur le conseil d’administration devrait être équilibré» en augmentant l’influence des présidents des banques de réserve régionales dans le FOMC. Un «détail» important est que ces derniers ne seraient plus désignés par leurs conseils d’administration respectifs mais par les gouverneurs des Etats de chaque district. Dans les faits, cela politiserait encore plus la Réserve fédérale. A noter qu’il y a actuellement une majorité de républicains parmi les gouverneurs des Etats.
A la différence du statut de la Banque centrale européenne (BCE) qui est dans les faits presque impossible à modifier puisqu’il est inscrit dans le Traité européen, un acte «ordinaire» du Congrès américain suffirait à réformer la gouvernance de la Fed. La barre resterait toutefois haute, puisque la fameuse «règle de clôture» oblige à obtenir l’assentiment de 60 sénateurs sur 100 pour finaliser la plupart des projets législatifs. Mais le paradoxe est qu’un vote du Sénat à la majorité simple permettrait d’abolir cette règle de majorité qualifiée.
Une telle abolition, techniquement à la main du parti républicain en cas de victoire au Sénat en novembre – est souvent considérée dans le débat politique américain comme une «option nucléaire». Mais même si une réforme du statut de la Fed ne va pas jusqu’à son terme, la simple possibilité de la remise en cause potentielle de sa gouvernance ne peut pas être ignorée : l’indépendance des banques centrales a largement façonné le fonctionnement des marchés financiers modernes.
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