
Le moment « poutinien » de l’Europe

L’Union européenne se forge durant les crises. En 2020, la création d’un fonds de relance adossé à des émissions de dette communes avait été qualifiée de moment « hamiltonien » : la pandémie la plus grave depuis un siècle avait permis à l’union économique et monétaire de franchir en quelques semaines un palier que beaucoup jugeaient inaccessible. L’invasion de l’Ukraine par la Russie constitue un autre moment de l’histoire du continent, « poutinien » celui-là. Face à la menace existentielle qui pointe à nouveau à l’Est, les dirigeants européens ont fait montre d’une capacité de réaction dont Vladimir Poutine ne soupçonnait pas l’existence. Voilà l’Union plus proche qu’elle n’a jamais été d’une politique extérieure et de défense communes, et prête à couper en partie la Russie du système financier international quel qu’en soit le prix à payer.
Aucun pays n’incarne mieux cette volte-face que l’Allemagne. En un discours, le chancelier Olaf Scholz a tourné le dos à des décennies de politique étrangère forgée dans le traumatisme de la Seconde guerre mondiale. Berlin ne peut plus se contenter d’une diplomatie du commerce, ni s’abriter derrière le parapluie nucléaire américain ou la force de dissuasion française. La première économie de la zone euro découvre, dans la douleur, qu’il lui faut se doter de capacités de défense conformes à son rang, et inverser une série de décisions désastreuses qui l’ont placée en état de dépendance énergétique vis-à-vis de l’ogre russe. Le réveil, tardif et brutal, dresse un bilan sévère des années Merkel et Schröder.
L’issue de la guerre en Ukraine reste aussi imprévisible que le maître du Kremlin, mais ses conséquences pour l’Europe se dessinent déjà. Elle fait naître de nouvelles dépenses et confirme des besoins d’investissement massifs. Les budgets militaires s’accroîtront, la transition verte et les mesures d’accompagnement qu’elle nécessite devront s’accélérer pour diminuer la part du gaz et du pétrole dans le mix énergétique. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour des pays aux finances publiques exsangues, et qui souffriront à court terme de la flambée des prix des matières premières.
Si elle veut déployer ses nouveaux choix stratégiques, l’Europe devra aussi affirmer son rôle de puissance financière. Une puissance contestée tous les jours par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, et demain, peut-être, par un axe Moscou-Pékin. Consolider la place de l’euro dans les transactions internationales et les réserves de banques centrales, achever l’union des marchés de capitaux pour qu’enfin l’épargne des Européens finance au mieux la croissance du continent, pousser plus avant la mutualisation mise en œuvre durant la pandémie… la crise actuelle est aussi l’occasion de mener à bien des chantiers trop longtemps négligés.
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