
Le marché primaire corporate fait le plein malgré le coronavirus

Après deux semaines de quasi-inactivité, sur fond de krach sur les marchés financiers, le marché primaire obligataire corporate a rouvert et réalisé une semaine exceptionnelle, en Europe comme aux Etats-Unis. Sur le marché euro, en tenant compte des émissions d’Unilever et d’Engie (vendredi 20 mars), 25 milliards ont été émis en une semaine par 17 émetteurs. «C’est considérable si l’on compare par rapport aux 33 milliards réalisés en février», constate Frédéric Zorzi, responsable mondial du marché primaire chez BNP Paribas CIB. Les annonces budgétaires en Europe et aux Etats-Uniset les interventions des banques centrales, BCE et Fed, ont aidé à la stabilisation du marché offrant une fenêtre d’émission.
«Nous avons assisté à une réouverture progressive du marché», souligne Xavier Beurtheret, responsable corporate DCM origination France et Benelux chez Crédit Agricole CIB. D’abord des émetteurs de bonne qualité et très défensifs (Engie et Unilever) puis des émetteurs AA/A mardi (Sanofi, Nestlé, Diageo, Coca Cola et Danaher) et des émetteurs BBB dans des secteurs défensifs mercredi (Carrefour, Bertelsmann, Heineken et Philips) avant des émetteurs dans des secteurs cycliques ou directement affectés par la crise du coronavirus jeudi (ADP, Saint-Gobain) mais aussi Suez, Ahold Delhaize et Air Liquide.
ADP a rassuré
L’émission ADP a été l’une des plus emblématiques. Malgré une notation A, cette opération était plus risquée en raison de la forte sensibilité de l’entreprise à la crise du coronavirus au travers du choc subi par le transport aérien. «L’intérêt des investisseurs a été particulièrement élevé avec plus de 13 milliards d’euros de demande sur les deux tranches proposées», indique Xavier Beurtheret. «ADP est une bonne nouvelle pour l’accès général au marché», ajoute Frédéric Zorzi. Autre signe que le marché semble avoir retrouvé une certaine stabilité, pour le moment, Saint-Gobain a émis la première obligation sur une maturité courte à 3 ans depuis plusieurs semaines. Cette partie de la courbe a été très chahutée pendant la correction alors que les investisseurs ont cherché à vendre en priorité les titres court terme plus liquides pour trouver du cash. Ce qui a eu pour effet d’inverser la courbe du crédit. «Jusqu’à jeudi, les émissions étaient sur la partie 5-10 ans», poursuit Frédéric Zorzi.
Surtout les investisseurs ont répondu présent avec des livres d’ordres exceptionnels, jusqu’à 18 milliards pour la double émission d’Air Liquide, un record. Le taux de souscription moyen sur la semaine s’est établi à 8,5 fois contre 3,5 fois en temps normal. «Nous pensons que le marché IG ‘corporate’ a retrouvé un certain équilibre», juge Frédéric Zorzi, et ce contrairement aux autres segments obligataires, high yield et dette émergente bien sûr, mais aussi covered bonds ou agences gouvernementales. Mais ce retour à l’équilibre a un prix.
Coût renchéri mais qui reste supportable
«En l’espace d’un mois, nous avons changé de paradigme, constate Xavier Beurtheret. Avant, les émetteurs avaient la main pour la fixation du prix de l’émission, désormais ce sont les investisseurs». Cela se traduit par des primes d’émission (écart de prix entre le primaire et le secondaire) en hausse actuellement à 30-50 points de base (pb), contre 5 à 10 pb auparavant, pour attirer les investisseurs. Cette prime est le prix de la liquidité. Ensuite, le niveau de spread s’est fortement écarté sur le marché secondaire passant de 90 pb à 250 pb. Après la crise de Lehman Brothers c’est GDF Suez (aujourd’hui Engie) qui avait rouvert le marché, rappelle Frédéric Zorzi avec un spread équivalent aux 200 pb payés la semaine passée par Engie mais avec une prime de 125 pb (contre 50 pb). «Plus que la prime il faut regarder le coût en absolu et il est vrai qu’il est important, poursuit ce dernier. Mais il est légitime de se demander si ce ne sont pas les conditions de financement avant la crise qui étaient exceptionnelles. Quoi qu’il en soit, malgré la hausse des ‘spreads’, le coût reste supportable pour les entreprises européennes vu le niveau de couverture des intérêts. Si l’on fait exception de la crise de 2008, dans le cas par exemple de Saint-Gobain le coupon a doublé à 2,375% sur l’obligation à 7 ans par rapport à une même émission en 2018, ce qui est important, mais cela reste inférieur à la même émission en 2012 à 3,625%». Xavier Beurtheret estime le coupon moyen des dernières émissions à 1,75%. Aux Etats-Unis la baisse des taux a compensé la hausse des spreads.
Les émetteurs ont aussi dû adapter le mode d’exécution. «Vu le contexte de marché très volatil, toutes les opérations se font dans la journée», explique Xavier Beurtheret. Tout mouvement intempestif sur les marchés, notamment américains, entraîne de la volatilité sur les taux midswaps. «Nous devons faire vite et si possible réaliser le ‘pricing’ avant l’ouverture de Wall Street», poursuit ce dernier. Par ailleurs, les émetteurs cherchent à lever le plus de fonds avec de nombreuses multi-tranches. «La taille recherchée est à présent l’un des premiers critères, ajoute Xavier Beurtheret. Leur objectif est de cristalliser des conditions de financement et de sécuriser leur trésorerie tant que le calendrier et le marché le permettent, car cela pourrait rapidement se dégrader».
Ils devraient continuer à profiter de la fenêtre actuelle. «Bien sûr cela se passe au jour le jour en fonction des conditions de marché mais nous attendons plusieurs opérations avec multi-tranches», assure Frédéric Zorzi. Il est toutefois peu probable que le montant levé soit aussi important que la semaine passée. «Les émetteurs doivent profiter de cette fenêtre tant qu’elle est ouverte», ajoute Xavier Beurtheret qui rappelle qu’elle est courte puisque les entreprises ne pourront plus émettre dans deux semaines avec la publication des chiffres trimestriels. Il s’attend cette semaine à de nouvelles opérations sur un rythme soutenu et potentiellement d’émetteurs plus risqués mais craint que le marché reste intermittent : «Nous allons être dans les semaines et les mois à venir dans une situation de fenêtre qui s’ouvre et se referme au gré de l’évolution des marchés et de l’incertitude économique».
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