
Le Brexit entre dans le dur

Il aura donc fallu deux ans au gouvernement britannique pour accoucher d’une stratégie à peu près cohérente de sortie de l’Union européenne. C’est avant le vote fatidique du 23 juin 2016 que les partisans du repli sur soi auraient dû présenter une telle feuille de route, s’ils s’étaient montrés à la hauteur du rendez-vous historique qu’ils promettaient à leurs concitoyens. Du moins la direction est-elle aujourd’hui claire : la Première ministre Theresa May a fait le choix d’un « soft Brexit », fût-ce au prix d’une défection de deux poids lourds de sa majorité, Boris Johnson et David Davis. Mais à quelques mois du jour J, les obstacles dressés sur le chemin sont encore si nombreux que les acteurs de l’économie, déjà plongés dans la complexité opérationnelle et juridique de ce processus (lire notre Enquête p.28), doivent se préparer au pire.
Rien ne dit en effet que l’Union européenne et le Parlement britannique agréeront les actuelles propositions du 10, Downing Street. Le livre blanc dévoilé mi-juillet n’apporte toujours pas de réponse convaincante au risque de création d’une frontière dure entre les deux Irlandes, ce que les négociateurs européens ne se privent pas de rappeler. En demandant, pour ses marchandises, le maintien d’une zone de libre-échange, le Royaume-Uni se soumettra de fait aux règles établies par l’Union européenne et affaiblira sa capacité à signer, seul, des traités commerciaux avec des grandes puissances – comme Donald Trump l’a brutalement résumé avec son sens aigu du rapport de force. Cette position de vassal ne peut qu’alimenter le sentiment de trahison chez les tenants d’un Brexit dur, et renforcer l’esprit frondeur qui règne à la Chambre des communes.
La City, elle aussi, peut s’estimer flouée, même si elle s’éveille douloureusement au principe de réalité. Sur le front des services, tout particulièrement financiers, le gouvernement a enfin renoncé à la chimère d’une reconnaissance mutuelle, autre nom d’un passeport européen que le pays n’aurait su décemment conserver. Il se résout à un système d’équivalence comme il en existe tant entre l’Europe et les pays tiers, mais en réclamant un régime amélioré au nom des liens forts qui unissent les marchés de capitaux européens à la place londonienne. Ces procédures d’équivalences, éparpillées entre différentes réglementations sectorielles, sont à l’entière discrétion de la Commission européenne et offrent une protection juridique toute relative. L’occasion est belle de leur donner un cadre plus clair à l’occasion du Brexit. Pour autant, on voit mal ce qui justifierait aux yeux de l’exécutif européen d’accorder à Londres, place financière concurrente de Paris ou Francfort, un traitement de faveur dont ni les Etats-Unis ni la Suisse ne bénéficient à ce stade.
Le plan le moins irréaliste qu’ait produit le Royaume-Uni en deux ans s’expose donc au risque d’un rejet à Bruxelles et dans les parlements nationaux. Quand bien même il passerait cette double épreuve, sa mise en application pratique réclamera sans doute des années d’efforts. Le Brexit dur n’est jamais loin, et un professionnel averti en vaut deux.
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