
Delachaux snobe la Bourse

Troisième gros revers pour Euronext Paris, après Novares et Autodis. A la surprise générale, Delachaux a annoncé hier matin la suspension de son processus d’introduction en Bourse (IPO), pour ouvrir son capital à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) et permettre ainsi la sortie du fonds CVC Capital Partners. La décision est d’autant plus surprenante que l’opération s’était plutôt bien déroulée. «Le livre d’ordres était sursouscrit. L’introduction aurait pu être menée à son terme», regrette un banquier participant.
Fixée le 4 juin, la fourchette indicative de prix était située entre 18,5 et 22,5 euros par action, ce qui valorisait l’entreprise (dette comprise) à un maximum de 1,48 milliards d’euros. Le prix qui est ressorti des discussions avec les investisseurs s’est avéré être dans la moitié basse de la fourchette, selon nos informations. Or, au moment d’annoncer leur projet d’IPO, les actionnaires de Delachaux (la famille fondatrice, et CVC, qui détiennent chacun 49,9% du capital du groupe) et la direction (0,2%) attendaient une valorisation supérieure à 1,5 milliard d’euros, avaient déclaré à L’Agefi plusieurs sources proches à l’époque.
Pourquoi un tel écart ? Les actionnaires avaient entamé des discussions avec des prétendants en 2017, notamment la CDPQ, ont expliqué d’autres sources hier. Une offre aurait même été faite par un industriel. Mais une banque, qui ferait partie des organisatrices de l’IPO, aurait fait espérer une valorisation nettement supérieure par la voie de la Bourse.
Des institutionnels français trop prudents
La déception à l’égard de l’offre s’est conjuguée à une certaine lenteur dans la constitution du livre d’ordres. Si les investisseurs n’ont pas émis de doutes sur la solidité et la stratégie de Delachaux, ils ont renâclé à plusieurs titres. «Nous avons étudié le dossier et rencontré les dirigeants. C’est une société que nous avions suivie de très près avant qu’elle sorte de Bourse. Nous la trouvons bien gérée avec des positions fortes sur ses marchés, mais l’introduction en Bourse était prévue avec une dette trop élevée [430 millions d’euros nets]. C’est souvent le cas des sociétés qui sont introduites dans la foulée d’un LBO», explique par exemple le gérant d’un fonds actions.
Les organisateurs de l’opération épinglent également l’excès de prudence de certains investisseurs qui ont passé des ordres. Réclamant une prise de conscience de la Place de Paris, un banquier souligne ainsi «la pusillanimité des grands investisseurs institutionnels français dans le timing et la taille de leurs ordres. Il aurait fallu qu’ils créent un momentum dès le début du processus avec des ordres plus conséquents». Parmi les raisons invoquées par ces investisseurs, le professionnel cite les doutes récurrents lorsqu’un fonds de LBO se trouve à l’origine d’une sortie en Bourse, la peur de se trouver en fin de cycle industriel et la volatilité des marchés.
Des arguments convaincants
Cette prudence a pu être dissuasive. Car «les fonds de capital-investissement ne sortent pas en une fois lors d’une IPO, mais par blocs [CVC devait conserver entre 10 et 15% du capital de Delachaux après l’IPO]. Ils sont donc attentifs à la performance future du titre dans la durée. La demande des investisseurs pour les titres Delachaux s’étant développée lentement, CVC a eu des craintes sur les cessions de blocs à venir et a regardé d’autres options», raconte un banquier. L’hypothèse d’un dual track, par lequel l’actionnaire et ses banques lancent concomitamment une IPO et un appel d’offres et que les fonds pratiquent parfois, est toutefois démentie par plusieurs sources proches de Delachaux comme bancaires.
Etant donné l’équilibre des pouvoirs entre CVC (qui n’était pas disponible hier pour faire de commentaires) et la famille, le revirement du premier n’a pas rencontré de forte résistance. Les obligations de transparence à l’égard des marchés sont souvent vécues comme des contraintes par les actionnaires et la direction d’une entreprise non cotée. Les fonds d’investissement ont, à travers des management packages potentiellement très rémunérateurs qu’ils proposent aux dirigeants, des arguments convaincants face à la Bourse et ses contraintes de publication des rémunérations. En outre, ils sont actuellement dotés de liquidités records.
Ce nouveau cas ne va pas améliorer la confiance des investisseurs actions à l’égard des fonds de capital-investissement lorsque ceux-ci mettent en Bourse des sociétés, étant donné l’opportunisme indécrottable de ces derniers.
La transaction annoncée hier verra la CDPQ (conseillée par Nomura) et la famille Delachaux (conseillée par la Banque Hottinguer selon nos informations) acquérir la totalité des parts de CVC. La famille maintient sa volonté de se renforcer et devrait détenir entre 50% et 55% du capital de sa société, l’investisseur québécois prenant l’essentiel du solde, les dirigeants de l’entreprise prenant quelques parts. Le financement est assuré par Nomura et ING.
Plus d'articles du même thème
Sujets d'actualité
ETF à la Une
- La Banque Postale débarque le patron de sa banque privée
- A la Société Générale, Slawomir Krupa se prépare à la taylorisation des banques
- La Société Générale prend le risque d'une grève en France fin mars
- Une nouvelle restructuration à la Société Générale ne plairait pas aux investisseurs
- Le CCF a perdu une centaine de millions d’euros l’an dernier
Contenu de nos partenaires
-
Pénuries
En combat air-air, l'aviation de chasse française tiendrait trois jours
Un rapport, rédigé par des aviateurs, pointe les « vulnérabilités significatives » de la France en matière de « supériorité aérienne », décrivant les impasses technologiques, le manque de munitions et les incertitudes sur les programmes d'avenir -
Escalade
L'armée algérienne passe à la dissuasion militaire contre la junte malienne
La relation entre Alger et Bamako ne cesse de se détériorer ces derniers mois alors qu'ex-rebelles et armée malienne s'affrontent à la frontière algérienne -
En panne
Pourquoi les Français n’ont plus envie d’investir dans l’immobilier
L’immobilier était le placement roi, celui que l’on faisait pour préparer sa retraite, celui qui permettait aux classes moyennes de se constituer un patrimoine. Il est tombé de son piédestal. La faute à la conjoncture, à la hausse des taux, à la chute des transactions et à la baisse des prix, mais aussi par choix politique : le placement immobilier a été cloué au pilori par Emmanuel Macron via une fiscalité pesante et une avalanche de normes et d’interdictions