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Défaillances : normalisation ou rattrapage ?

Non seulement le choc de la crise sanitaire n’a pas produit d’explosion des défaillances, mais, à la faveur du «quoi qu’il en coûte», l’équivalent d’une année entière de défauts a été évité entre 2020 et 2022. Après le triple choc de 2023, de demande avec le ralentissement du PIB, d’inflation avec une dégradation des marges marquée dans les services et de hausse des taux avec un renchérissement des coûts de financement, il était logique que les défaillances rebondissent l’an passé. Par ailleurs, le début de remboursement de la dette Covid, sous la forme de prêts garantis aux entreprises (PGE) mais aussi de reports d’échéances sociales et fiscales, a exercé une contrainte supplémentaire sur la trésorerie des TPE-PME.
Pour autant, avec environ 57.000 défaillances en 2023, le niveau atteint ne dépasse guère la moyenne de 2016-2019 et reste nettement en deçà de celle de 2010-2015. Ce constat relativement rassurant va dans le sens d’un simple retour à la situation ex-ante. Cependant, cette apparente normalisation fait apparaître de nombreux signaux d’alerte, voire masque un véritable rattrapage, certes hétérogène, des défaillances évitées durant les trois années précédentes.
Des indicateurs d’alerte
La hausse de «seulement» 8% des défaillances en 2023 est effectivement préoccupante à bien des égards. En particulier, son évolution infra-annuelle traduit une nette accélération au cours des derniers mois. Après un premier trimestre à un niveau historiquement faible, les défaillances ont progressivement basculé vers le rythme des années 2010-2015 avec un 4ᵉ trimestre à son plus haut niveau depuis 2013. L’aggravation en cours est également sensible au regard du type de défaut.
Les liquidations judiciaires (cas les plus extrêmes, sans perspectives de relance de l’activité, contrairement à la sauvegarde ou au redressement judiciaire) ont été plus précoces et plus fréquentes en 2023 jusqu’à atteindre 73% des défaillances. Le retour des procédures de liquidation judiciaire au niveau de 2019 s’est manifesté dès le 1ᵉʳ trimestre 2023, alors que celui des procédures de redressement ne s’est manifesté qu’en fin d’année. Ainsi, malgré la hausse des procédures préventives et de sauvegarde, représentative des efforts de détection anticipée des difficultés accomplis par les pouvoirs publics et les tribunaux de commerce, la situation d’une part croissante d’entreprises est souvent dégradée au-delà d’un point de non-retour, si bien que leur liquidation est jugée inévitable.
En dehors de l’information et de l’édition de logiciels en profonde mutation, les secteurs les plus durement touchés ont souvent été les plus exposés aux changements de comportement de consommation et d’investissement des ménages. En particulier, les effets du choc inflationniste et de la hausse des taux d’intérêt ont fortement affecté le commerce alimentaire, l’agroalimentaire et les services aux particuliers (soins de beauté, coiffure…), la restauration, mais aussi l’univers de l’immobilier, de la transaction avec les agences immobilières et les activités financières, à la production de logements avec la promotion privée et la construction de maisons individuelles. En revanche, les secteurs les plus sensibles aux prix de l’énergie, notamment l’industrie manufacturière, n’ont pas connu de recrudescence des défauts.
A lire aussi: L’horizon des défaillances reste bien sombre
PME-ETI, un rattrapage bien engagé
Si les secteurs les plus fragilisés par la crise sanitaire ont été les plus sinistrés, ce ne sont pas les entités les plus récentes qui ont fait défaut. La majorité des défaillances a concerné des entités au-delà de cinq ans d’ancienneté, tandis que les structures de moins de trois ans n’en représentent que 18%. Cette plus grande fragilité des entreprises mieux établies est confirmée par l’analyse des défauts par taille d’entreprise. Dans la ligne du diagnostic proposé ici en décembre 2022, ce sont les PME et ETI qui ont été les plus exposées au rebond des défaillances. En effet, les microentreprises et les plus petites TPE (sans salarié, ou employant un ou deux salariés) ont plutôt connu une normalisation des défaillances en 2023 (+2% par rapport à 2019).
Les TPE employant trois à neuf salariés, avec un surcroît de défaillances de 22% par rapport à 2019, ont expérimenté un début de rattrapage des défaillances évitées entre 2020 et 2022. Au-delà, plus de 4.700 PME-ETI (dix salariés et plus) ont défailli en 2023, soit une progression de 37% par rapport à 2019. Ce surcroît de défaillances de 1.300 entités correspond, pour les PME-ETI, à un rattrapage d’environ la moitié des défaillances évitées entre 2020 et 2022 (par rapport à la référence de 2019).
Dès lors, l’impact en emplois est beaucoup plus sensible. Selon l’estimation de BPCE L’Observatoire, 240.000 emplois auraient été menacés en 2023, soit une progression de 25% par rapport à 2019 et un niveau très supérieur aux années antérieures.
62.000 défaillances en 2024 ?
En 2024, les défaillances d’entreprises devraient progresser plus sensiblement en nombre et pourraient atteindre 62.000 unités. Au-delà des nombreux aléas économiques et sectoriels qui l’affectent, cette prévision s’appuie sur une approche sectorielle et par taille. D’une part, la situation du commerce de détail, de l’agroalimentaire et des services aux particuliers devrait s’améliorer à la faveur d’un pouvoir d’achat des ménages moins érodé par l’inflation alors que les défaillances dans la construction, la restauration et les services aux entreprises devraient s’accélérer en 2024.
D’autre part, en termes de taille, compte tenu d’un rattrapage déjà bien avancé en 2023, les défaillances de PME-ETI se stabiliseraient en 2024. En revanche, le retour à des pratiques plus traditionnelles des Urssaf et les contraintes de remboursement de la dette Covid devraient au contraire accélérer les défauts des TPE et des microentreprises. Ainsi, le nombre d’emplois menacés en 2024 ne devrait pas déraper très au-delà du niveau déjà très élevé de 2023 (autour de 250.000 emplois menacés en 2024).
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