
Bonnes dettes, mauvaises dettes

Michala Marcussen, chef économiste, groupe Société Générale
S’exprimant à Rimini en août 2020, Mario Draghi a demandé que l’on fasse une distinction entre les « bonnes » dettes, utilisées à des fins productives, comme l’investissement dans les infrastructures, la recherche et le capital humain, et les « mauvaises » dettes, utilisées à des fins improductives. Draghi a également averti que des taux d’intérêt bas ne sont pas une garantie de soutenabilité de la dette, l’essentiel étant d’assurer une croissance économique durable. Mario Draghi, récemment nommé Premier ministre, doit relever le défi et mettre ses conseils en pratique. L’ampleur de son succès sera déterminante pour l’Italie, mais aussi pour l’Europe.
Avec de nombreux atouts, des rendements obligataires italiens sous contrôle grâce notamment à la promesse de la Banque centrale européenne de maintenir le programme d’achat d’urgence en cas de pandémie jusqu’en mars 2022 « au moins », des règles budgétaires européennes suspendues jusqu’en 2022, des banques italiennes entrées dans la crise bien capitalisées et autour de 80 milliards d’euros (5 % du PIB) de subventions européennes à dépenser, Mario Draghi bénéficie d’une main plus forte que nombre de ses prédécesseurs technocrates, qui sont souvent arrivés au pouvoir avec un mandat d’austérité.
Sa tâche n’en est pas moins capitale : après la crise de la dette de la zone euro, de 2014 à 2019, la croissance économique n’a été que de 0,8 % en moyenne, contre 1,5 % en moyenne entre l’arrivée de l’euro en 1999 et 2007, dernière année avant la grande crise financière. En outre, si l’on considère le PIB par habitant, l’Italie est entrée dans la crise du Covid-19 avec un niveau inférieur de 7 % à celui qui prévalait en 2007, ce qui montre bien que l’économie ne s’est jamais totalement remise des crises précédentes. La dette publique, quant à elle, est passée d’un peu plus de 100 % du PIB en 2007 à plus de 150 % aujourd’hui.
Le défi de tout programme de réforme structurelle n’est pas seulement son temps de mise en œuvre, mais aussi les inévitables obstacles politiques rencontrés. Les prochaines élections en Italie sont prévues pour le 1er juin 2023 au plus tard, ce qui laisse potentiellement au Premier ministre Draghi un peu plus de deux ans pour faire avancer son programme. Le fait qu’il a des fonds à dépenser pourrait rendre les résultats de la croissance visibles et l’aider à conserver un soutien politique. Les programmes d’infrastructure ont souvent des délais d’exécution de plusieurs années. Le nouveau gouvernement italien devrait donc chercher les fruits à portée de main, de « bonnes » mesures d’endettement et de réformes avec le moins de résistance possible.
Un espoir pour l’Italie et l’Europe
Le canal de la confiance peut créer un impact positif sur la croissance économique à court terme. Nous le voyons déjà à l’œuvre sur les marchés financiers, les rendements obligataires se dirigeant vers le Sud alors que les marchés des actions se dirigent vers le Nord. La prochaine étape est de s’assurer que cette confiance se répercute sur l’emploi et l’investissement des entreprises, ainsi que sur les dépenses des ménages. La maîtrise de la pandémie est une condition préalable. Dans ce domaine, la situation reste tendue et s’accompagne d’une grande incertitude.
L’instauration de la confiance offrirait l’occasion de faire progresser l’architecture encore incomplète de l’Europe. La priorité est de réformer les règles budgétaires du Pacte européen de stabilité et de croissance, qui sinon, présentent un danger d’austérité prématurée avec le risque d’un rejet politique par les électorats nationaux, et pas seulement en Italie. Une règle simple de dépenses publiques présenterait de nombreux avantages par rapport à la myriade complexe actuelle. Pour donner du crédit à ces règles, il serait utile de transformer les mécanismes européens de soutien temporaire pour atténuer les risques de chômage en cas d’urgence (SURE) et de la prochaine génération de l’Union européenne (UE) en des éléments permanents. Cela pourrait également mettre l’Europe sur la voie d’un véritable actif sans risque, dont elle a besoin pour développer le rôle international de l’euro et l’Union des marchés de capitaux (UMC).
Ayant livré « tout ce qu’il fallait » pendant la crise de la dette de la zone euro, Mario Draghi est investi d’un grand espoir pour l’Italie et l’Europe. Il convient de rappeler que, lorsqu’il était président de la Banque centrale européenne (BCE), il a appelé à plusieurs reprises les gouvernements à saisir la fenêtre d’opportunité offerte par la BCE pour assainir les politiques budgétaires saines et compléter l’architecture européenne. À l’époque, les gouvernements n’ont pas su en profiter et la tentation des « mauvaises » dettes a prévalu.
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