
- Banque
- Tribune
Les banques françaises et l’Etat: «ensemble pour toujours»

Les banques ont tiré les leçons de la crise de la dette souveraine européenne il y a plus de dix ans. Elles sont prêtes à faire face à une certaine volatilité à court terme de l'écart entre l’OAT et le Bund. Mais la «boucle fatale» banques/souverains est toujours bien vivante, pour des raisons fondamentales.
D’abord, une volatilité importante mais de courte durée de l’écart entre l’OAT et le Bund aurait un impact financier mineur sur les banques françaises d’un point de vue comptable et réglementaire. L’astuce, parfaitement légale, consiste à classer la grande majorité (plus de 90 %) de l’exposition souveraine au coût amorti, ce qui signifie que les variations de l’OAT n’ont pas d’impact sur la rentabilité ou les ratios de fonds propres réglementaires. Le résultat opérationnel généré par les banques françaises en 2023 est supérieur à la totalité de l’exposition souveraine de 43,6 milliards d’euros classée à la juste valeur.
Liens cachés
Deuxièmement, dans un scénario plus sévère impliquant un accès au marché obligataire difficile et prolongé pour l’Etat français et la pénurie de liquidités qui en suivrait, les multiples liens directs et indirects des banques françaises avec leur souverain deviendraient apparents et auraient de graves conséquences.
- En additionnant l’ensemble des valeurs d’exposition directe divulguées dans le dernier exercice de transparence de l’Autorité bancaire européenne (ABE) par les six principales banques françaises, nous obtenons le chiffre impressionnant d’environ 1.500 milliards d’euros, soit plus ou moins 20 % du total. Tous les types d’exposition ne sont pas identiques. Nous pensons que pour que les dépôts des banques françaises à la Banque de France soient gelés, il faudrait que nous nous trouvions dans un scénario encore pire, dans lequel l’Eurosystème ne fonctionnerait plus. Comme ce scénario nous paraît peu réaliste, nous excluons les expositions à la Banque de France dans notre deuxième graphe banque par banque.

Source : ABE, AllianzGI données à la mi-2023, autres sources.
- Les liens indirects joueraient également un rôle très important si la crise devait durer. Le premier, évident, concerne le coût de refinancement de la dette de gros des banques françaises, comme l’illustre la corrélation d’environ 70 % entre les écarts OAT-Bund et banques françaises-Bund (selon nos calculs internes). La seconde est plus nébuleuse, car l’Etat français serait contraint de se désengager de plusieurs politiques/initiatives/projets moins critiques qui se traduiraient en fin de compte par des pertes de crédit pour les banques françaises. De nombreux secteurs tels que l’agriculture, la culture ou la construction d’infrastructures dépendent fortement des subventions de l’Etat. Le chômage est un canal de contagion supplémentaire dans ce scénario baissier.
Enfin, les banques privées sont beaucoup moins exposées que les groupes mutualistes, La Banque Postale étant une exception compréhensible de par son appartenance à un groupe public. Les banques privées sont moins vulnérables pour plusieurs raisons. En premier lieu, elles sont toutes bien diversifiées, avec des parts de marché de détail en France de 12-13% relativement faibles par rapport à leur taille globale. Ensuite, elles n'étaient pas des distributeurs historiques des produits d'épargne réglementés (Livret A et autres). Elles ont par ailleurs toutes deux limité la part des OAT dans leurs portefeuilles d’investissement. Enfin, elles ont réduit drastiquement leur financement aux autorités locales et aux entités du secteur public il y a plusieurs années.

Source : ABE, AGI, Données à mi-2023, Autres
Note méthodologique: Nous avons utilisé des données sur les 6 plus grandes banques françaises qui représentent plus de 90 % des actifs bancaires nationaux comme une (bonne) approximation des banques françaises. Comme il est d’usage dans l’analyse bancaire, il y a beaucoup de lacunes et d’incohérences dans les informations communiquées, même si nous sommes partis de données réglementaires détaillées publiées dans le cadre de l’exercice annuel de transparence de l’ABE. Nous avons également contacté les services de relations avec les investisseurs des banques afin d’obtenir des éclaircissements sur les données de l’ABE. Enfin, nous avons formulé plusieurs hypothèses en nous appuyant sur des statistiques nationales publiées par la Banque de France et la Caisse des dépôts et consignations.
Plus d'articles du même thème
-
Harvest commence à sortir du bois après sa cyber-attaque
Sonia Fendler, directrice générale adjointe chez Harvest, est intervenue à la Convention annuelle de l’Anacofi, quelques jours après s'être exprimée lors d'une réunion organisée par la CNCGP. Elle a donné des premiers éléments d’explications sur l’origine de la fuite de données et confirmé que la période d’indisponibilité des services ne sera pas facturée. -
La loi de finances 2025 a laissé aux banques un sentiment aigre-doux
Par souci de justice fiscale, la loi de Finances 2025 a apporté un certain nombre de modifications dont plusieurs touchent les banques de façon directe ou indirecte. Certaines dispositions ne sont pas à l’avantage du secteur bancaire mais d’autres sont plutôt bénéfiques. Zoom sur deux exemples concrets. -
Thomas Labergère (ING): «Il faut réconcilier le citoyen avec l'économie et la finance»
A l'occasion de l'événement Banques 2030 organisé le 27 mars par L'Agefi, Thomas Labergère, le directeur général d'ING en France, évoque les mesures nécessaires pour promouvoir la compétitivité des banques européennes.
Sujets d'actualité
ETF à la Une
- La Banque Postale débarque le patron de sa banque privée
- A la Société Générale, Slawomir Krupa se prépare à la taylorisation des banques
- La Société Générale prend le risque d'une grève en France fin mars
- Une nouvelle restructuration à la Société Générale ne plairait pas aux investisseurs
- Le CCF a perdu une centaine de millions d’euros l’an dernier
Contenu de nos partenaires
-
Pénuries
En combat air-air, l'aviation de chasse française tiendrait trois jours
Un rapport, rédigé par des aviateurs, pointe les « vulnérabilités significatives » de la France en matière de « supériorité aérienne », décrivant les impasses technologiques, le manque de munitions et les incertitudes sur les programmes d'avenir -
Escalade
L'armée algérienne passe à la dissuasion militaire contre la junte malienne
La relation entre Alger et Bamako ne cesse de se détériorer ces derniers mois alors qu'ex-rebelles et armée malienne s'affrontent à la frontière algérienne -
En panne
Pourquoi les Français n’ont plus envie d’investir dans l’immobilier
L’immobilier était le placement roi, celui que l’on faisait pour préparer sa retraite, celui qui permettait aux classes moyennes de se constituer un patrimoine. Il est tombé de son piédestal. La faute à la conjoncture, à la hausse des taux, à la chute des transactions et à la baisse des prix, mais aussi par choix politique : le placement immobilier a été cloué au pilori par Emmanuel Macron via une fiscalité pesante et une avalanche de normes et d’interdictions