Victoire pour l’AMF. L’assemblée plénière de la Cour de cassation a tranché. Lorsque le juge des libertés et de la détention rend une ordonnance autorisant l’Autorité des marchés financiers (AMF) à procéder à des visites domiciliaires et des saisies dans un lieu déterminé, les enquêteurs peuvent sous certaines conditions saisir les ordinateurs et les téléphones des personnes de passage dans ce lieu, même si elles n’en sont pas les occupants. Deux arrêts, qui ontreçu un accueil contrasté, pour un dossier qui n’en finit pas. A l’origine de cette affaire, la saisie de téléphones de personnes étrangères lors d’un conseil d’administration en France dans le cadre d’une enquête de l’AMF pour manquement d’initiés. En première cassation en 2020, la chambre commerciale, financière et économique s’était tenue à une stricte application de l’article L621-12 du Code monétaire et financier et considérait que seuls les documents appartenant à la disposition de l’occupant des lieux pouvaient faire l’objet d’une saisie. Les requérants n’étant que de passage pour le conseil, leurs ordinateurs et téléphones ne pouvaient être saisis. La cour d’appel de renvoi n’a pas suivi la Cour de cassation, estimant qu’une interprétation trop restrictive de la notion d’« occupants des lieux» pouvait entraver l’action du gendarme boursier dans sa lutte contre les abus de marché. De fait,«la chambre financière a voulu faire du juridisme sur la base de L621-12, mais cette position n’était pas tenable, estime Martin Le Touzé, avocat associé chez Herbert Smith Freehills. Cet élargissement des pouvoirs des enquêteurs de l’AMF leur permettra de faire plus sereinement leur travail. La décision de l’assemblée plénière est pragmatique et satisfaisante intellectuellement, puisqu’elle rappelle les conditions dans lesquelles ces saisies peuvent intervenir et les droits dont disposent les personnes entre les mains desquelles les saisies ont été pratiquées». Donner à l’AMF les moyens de son action Contredisant la chambre commerciale, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a interprété l’esprit des textes. Pour elle, « sont saisissables les documents et supports d’information qui sont en lien avec l’objet de l’enquête et se trouvent dans les lieux que le juge a désignés ou sont accessibles depuis ceux-ci, sans qu’il soit nécessaire que ces documents et supports appartiennent ou soient à la disposition de l’occupant des lieux, précise l’arrêt. Ce texte, ainsi interprété, qui poursuit un but légitime, à savoir la protection des investisseurs, la régulation et la transparence des marchés financiers, est nécessaire dans une société démocratique pour atteindre cet objectif». Tout est dit. L’AMF a déclaré publiquement à plusieurs reprises avoir besoin de cette faculté pour traquer les manquements d’initiés. Pour l’assemblée plénière, ce texte «ne porte pas une atteinte excessive au droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance» si deux conditions sont réunies: les opérations de visite et de saisies ont été préalablement autorisées par un juge et seuls les éléments nécessaires à l’enquête peuvent être saisis. Ceux n'étant pas utiles à la manifestation de la vérité devant être restitués, ajoute l’arrêt, ignorant l’article L621-12 qui stipule que ces éléments «sont restitués à l’occupant des lieux». Désormais, «l’AMF bénéficie apparemment d’une carte blanche et pourrait donc saisir tous les ordinateurs et téléphones portables des personnes qui sont simplement de passage sur le territoire français, comme si elles y avaient leur domicile, alors que - par définition - elles ne sont pas les occupants des lieux visités, s’offusque Frank Martin Laprade, associé Jeantet et avocat des parties concernées. Toutefois, cette solution théorique risque de se heurter à des difficultés pratiques, car rien n’interdit à la personne de quitter les lieux dans lesquels elle ne faisait que passer, l’AMF n’ayant pas les moyens de la retenir de force et encore moins d’opérer une fouille au corps !» Une extension attendue hors du droit boursier «Attention toutefois de ne pas tirer une pratique généralisée d’un cas d’espèce, pour pallier un manque de coopération des autorités étrangères, ajoute Martin Le Touzé. Cet arrêt ne doit pas donner un blanc-seing à l’AMF pour faire des visites récurrentes à tous les Conseils d’administration. Les administrateurs devront quant à eux désormais être plus prudents ». Et pas seulement eux. Car la portée de l’arrêt dépasse le champ du droit boursier. «A son habitude pour régler des cas d’espèces, l’assemblée plénière utilise des termes très généraux pour viser l’ensembledes opérations de visites et saisies, bien au-delà de la seule sphère de l’AMF, souligne Guillaume Hannotin, avocat aux conseils chez Hannotin Avocats. Or, les visites domiciliaires sont principalement utilisées en matière fiscale et de concurrence. Cette nouvelle jurisprudence devrait donc s’appliquer dans tous les domaines, car les dispositifs sont identiques. Attention aux effets de bord. Nous anticipons des points de friction très importants en matière de visites et saisies dans les cabinets d’avocats, d’autant que le Conseil constitutionnel doit se prononcer sur une QPC en janvier et que la CJUE vient de conforter dans un arrêt du 8 décembre le secret des avocats». Après cette double cassation, les recours ne sont plus possibles en France, mais les demandeurs pourraient saisir la CEDH… L’histoire n’est peut-être pas encore finie.. En attendant le recours contre la décision de l’AMF du 28 avril 2021 condamnant notamment la société Diana Holding, de droit marocain, à 10 millions d’euros, et sa PDG Rita Zniber à 6 millions pour manquement d’initié est toujours pendant devant la cour d’appel de Paris. Au vu des arrêts du 16 décembre 2022 de l’assemblée plénière, la cour d’appel de Paris pourra donc désormais reprendre son examen de l’affaire.