Le président de la Securities and Exchange Commission (SEC), Gary Gensler, avait présenté en juin son idée de réformer et d’améliorer le fonctionnement des marchés boursiers aux Etats-Unis. Le régulateur a finalisé le 14 décembre quatre séries de mesures qui pourraient transformer la structure des marchés, notamment sur les actions et dérivés. Les ordres d’investisseurs individuels sont également concernés. La principale cible était la pratique du «paiement pour flux d’ordres» (PFOF), qui consiste pour une plate-forme à se rémunérer via les paiements d’un intermédiaire fournisseur de liquidité (market-maker, wholesaler) - et non par ses clients investisseurs particuliers - afin de lui apporter des liquidités. Le PFOF a été très critiqué comme une source potentielle de conflits d’intérêts après les excès de courtiers comme Robinhood ou TD Ameritrade fin 2020-début 2021 (affaire Gamestop). Toutefois il ne serait pas interdit aux Etats-Unis – ni en Europe, au contraire du Royaume-Uni -, seulement limité à une utilisation non abusive. «Les marchés sont devenus de plus en plus ‘cachés’, surtout pour les investisseurs particuliers. Ces investisseurs individuels ne bénéficient pas pleinement de la concurrence des différents acteurs du marché pour exécuter leurs ordres négociables au meilleur prix possible», a argumenté Gary Gensler, à propos de ces mesures plus ou moins bien accueillies par l’industrie. L’avènement du trading à haute fréquence (HFT)et la fragmentation connexe des marchés justifiaient à eux seuls d’en revoir les règles après dix-sept ans, a noté Ronan Ryan, président de la plate-forme alternative IEX, saluant «un effort constructif et positif pour améliorer la transparence et accroître la concurrence». «Best execution» Alors que les Etats-Unis ne disposaient que d’une vague définition de la qualité de l’exécution pour les courtiers supervisés par la Finra, la SEC établira un cadre de «meilleure exécution» couvrant tous les courtiers (brokers) et négociants (dealers) - également ceux officiant sur les bons du Trésor et les obligations municipales. La nouvelle règle les obligera «à établir, maintenir [revoir au moins une fois par an, ndrl] et appliquer des politiques et des procédures écrites (…)» précisant «la façon dont ils déterminent le meilleur marché, prennent des décisions d’acheminement ou d’exécution des ordres des clients». Ils devront notamment documenter tout accord de PFOF, et justifier de la meilleure exécution possible au moins chaque trimestre. «Aujourd’hui, les actions se négocient plus souvent sur des plates-formes hors Bourse, avec des modèles commerciaux différents et moins transparents que les Bourses habituelles. De tels développements rendent la meilleure exécution plus importante», a ajouté Gary Gensler. On peut douter que l’investisseur particulier se préoccupe de ces sujets, mais si une information claire lui est fournie par son courtier, qui sait ? Dans une deuxième mesure, la SEC en profite pour mettre à jour les obligations - datant de 2000 - de divulgation d’informations liées à la qualité de l’exécution. Sa réformeredéfinit la qualité des ordres et des critères de mesures statistiques, etélargit aux courtiers «retail» le champ des entités devant produire des rapports mensuels sur la qualité d’exécution à l’attention du public. Enchères pour les ordres de particuliers Principale mesure devant limiter le PFOF, aussi très critiquée, une règle viendraitinterdireà un courtier ou à une plate-forme de détail d’exécuter des ordres retail de façon bilatérale avec un grossiste partenaire, à moins deles avoir exposés au préalable à la concurrence d’«enchères équitables et ouvertes». Cette enchère incluerait les prix en provenance des Bourses traditionnelles, de façon multilatérale. Actuellement, ces prestataires acheminent plus de 90% des ordres de particuliers vers un petit groupe de négociants partenaires, hors Bourses. Ce routage lié au PFOF des ordres des particuliers - «segmented» dans le texte de la SEC car dépourvus de moyens d’une «sélection adverse» et «isolés de la concurrence d’une exécution ‘ordre par ordre’» - permet aux «market-makers» de limiter leurs coûts de trading implicites. Il augmente aussi la fragmentation dans le sens où ces grossistes ne donnent pas aux autres acteurs du marché la possibilité d’un processus de formation des prix normal. Le coût de ce «déficit concurrentiel» est estimé par la SEC à 1,5milliard de dollars par an. Les grossistes Citadel Securities et Virtu Financial (66% de parts de marché selon la SEC) ne sont pas d’accord. Ils affirment s’appuyer sur le meilleur prix au niveau national (NBBO) pour améliorer les prix. «Pas de cotation» Enfin, la SEC propose d’homogénéiser les incréments minimums entre deux prix, les «pas de cotation» ou «tick size». Les Bourses américaines n’appliquent que des incréments d’un centime alors que les transactions «hors Bourses» peuvent aller jusqu’à un dixième de centime, offrant dix fois plus de prix et de possibilités d’arbitrage. La règle, assortie de mesures connexes, imposerait aux principales Bourses d’évaluer les écarts et, sur la base de critères objectifs et mesurables, de déterminer le «tick size» applicable pour la cotation et la négociation des actions. Trois des cinq commissaires de la SEC ont voté en faveur de ces règles qui feront l’objet d’une consultation publique jusqu’au 31 mars. Le «market-maker» CitadelSecurities s’est montré sceptique, appelant sur Bloomberg TV à «éviter des conséquences imprévues qui pourraient nuire à la liquidité». Virtu Financial avait lancé fin novembre une action en justice contre la SEC pour obtenir plus de détails sur des informations diffusées en juin concernant la structure des marchés. L’Association des gestionnaires alternatifs (MFA) s’est aussi montrée prudente sur la manière dont les règles seront calibrées.