Généralisation de la complémentaire santé : Nous attendons des précisions de l’administration

Par Emeline Aubry, juriste en droit Social Exco Nexiom
A partir du 1er janvier 2016, toute entreprise, sans exception, a l’obligation de mettre en place une mutuelle au bénéfice de ses salariés (Loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi). Une échéance imminente au regard du délai de mise en œuvre. Pourtant, des zones d’ombres subsistent suscitant l’inquiétude chez de nombreux juristes en droit social.
Une situation récurrente depuis quelques temps avec des textes législatifs – notamment en matière sociale – qui nécessitent pour être applicables des décrets ou circulaires de l’administration publiés trop tardivement. Sans parler des modifications parfois apportées par de nouvelles lois.
Deux points illustrent cette tendance préjudiciable pour les juristes et donc les entreprises : la couverture des salariés en CDD et les clauses d’ancienneté.
- Salariés en CDD: l’incertitude juridique posée par le PLFSS
A l’heure actuelle, la loi ne prévoit pas de clause particulière pour les salariés en CDD si bien que ceux-ci doivent changer de contrat de mutuelle à chaque changement d’employeur. Si le document de mise en place de la complémentaire santé le permet, le salarié a la possibilité de refuser son adhésion au profit d’une mutuelle personnelle qu’il pourra conserver sur le plus long terme. Nous le constatons déjà pour la majorité des CDD dans les entreprises que nous accompagnons.
Le PLFSS 2016 s’est saisi de cette problématique en prévoyant pour les salariés en CDD un bien meilleur sort. S’il est voté en l’état, ces salariés pourront, en refusant l’adhésion, demander à percevoir le montant que l’entreprise leur aurait versé dans le cadre de la complémentaire d’entreprise afin de pouvoir souscrire une mutuelle à titre privé.
Cette mesure inscrite au PLFSS 2016 va dans le bon sens mais, force est de constater, qu’elle arrive bien trop tard. De plus, les modalités de son application ne sont pas encore précisées.
Entrant en application au 1er janvier 2016, cette loi, qui n’a pas encore été définitivement adoptée interviendra bien après la mise en place d’un contrat de mutuelle par les entreprises qui, bonnes élèves, ont anticipé cette échéance. L’ensemble des documents juridiques remis aux salariés en CDD, ne prévoit pas cette possibilité qui n’est, à ce jour, qu’un projet.
Cette mesure est bonne mais elle arrive trop tard et va conduire l’ensemble des intervenants - entreprises, juristes et compagnies d’assurance - à rouvrir des négociations et reprendre le formalisme pour des régimes à peine mis en place. Il est important que ces derniers en aient conscience.
- Clauses d’ancienneté: divergences d’interprétation sur une suppression
Un autre point soulève des incertitudes: les causes d’ancienneté. Aujourd’hui, la réglementation sociale permet aux entreprises de soumettre le bénéfice de la mutuelle à une condition d’ancienneté des salariés qui ne peut dépasser 6 mois. Beaucoup ont interprété la généralisation de la complémentaire santé comme une obligation ne pouvant s’accompagner d’une condition d’ancienneté. L’ACOSS a confirmé cette appréciation au mois d’août dernier en précisant que la présence de conditions d’ancienneté impliquerait la remise en cause du caractère collectif du régime et donc les exonérations sociales. Pourtant, de nombreux juristes anticipent une remise en cause de cette circulaire parue il y a moins de 3 mois. Personne ne peut donc répondre à ce jour, avec certitude, si les conditions d’ancienneté seront admises ou non et dans quelle mesure les contrats actuels prévoyant une telle clause devront être mis à jour.
Outre le préjudice pour certaines entreprises induit par la suppression de cette condition d’ancienneté (hausse des cotisations et augmentation des coûts de traitement des inscriptions), le législateur n’est pas en mesure d’apporter des précisions claires sur la question, à deux mois de la mise en place. Cette incertitude est également préjudiciable aux entreprises et à l’ensemble des acteurs de la mutuelle.
Ce sont deux illustrations de l’incertitude dans laquelle les errances et l’imprécision de l’administration plongent les entreprises et leurs conseils. Et qui nous oblige à conclure sur ce sujet comme sur tant d’autres en droit social avec une formule bien trop souvent utilisée auprès des entreprises que nous accompagnons : nous sommes en attente de précisions de l’administration.
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