Patrimoine

Rétrocessions, une troisième voie souhaitable

Qui, du producteur ou du client final, doit porter les coûts de distribution des produits financiers ? Et de quoi le client a-t-il besoin ? Les réponses sur la rémunération et ses modalités viendront ensuite.,
Philippe Loiseau, senior advisor chez CantorDust
philippe-loiseau.jpg

Au deuxième trimestre 2023, la Commission européenne doit annoncer sa stratégie sur les investissements des clients particuliers (Retail Investment Strategy). L’objectif recherché est de drainer une grande partie de l’épargne européenne vers l’économie réelle pour faciliter le financement des grands projets de transformation. Ce texte définira de nouvelles règles d’investissement qui vont, au minimum, de l’encadrement de la distribution de certains produits (assurance-vie et plan d'épargne retraite – PER) jusqu’à l’interdiction des rétrocessions. Pour le commissaire européen aux Services financiers, bannir les rétrocessions permettra, sur la base de l’expérience du Royaume-Uni, de réduire de 35% le prix de vente des produits financiers.

Si l’interdiction des rétrocessions est finalement la voie privilégiée, elle engendrerait une baisse des revenus, entre 30% et 90% en fonction du type d’acteurs, et déclencherait de profondes transformations:

- diminution des services apportés aux clients et réduction des effectifs associés;

- disparition d’un grand nombre de petits acteurs, comme les conseillers en gestion de patrimoine (CGP) indépendants (90% de leur chiffre d’affaires, d’après l’étude publiée par l’Autorité des marchés financiers – AMF – en novembre 2022);

- accélération des fusions-acquisitions sur le marché de la gestion de patrimoine;

- segmentation de la clientèle et ajustement des offres en fonction du patrimoine;

- intégration de la production et de la distribution, pour les acteurs de plus grande taille.

L’interdiction des rétrocessions entraînera la diminution en qualité et en quantité des services proposés aux clients. Cela pourrait aller jusqu’à la disparition de l’offre pour les plus petits patrimoines. Néanmoins, ne rien changer à la situation actuelle, c’est ne pas voir les dysfonctionnements structurels du système de distribution des produits financiers.

Rétrocessionscontre conseil

Le conseil mis en avant par les distributeurs ne s’opère que sur une part minoritaire du patrimoine et pour un nombre restreint de clients. En 2021, l’Insee et la Banque de France (1) chiffrent le patrimoine financier net des Français à 4.667 milliards d’euros. Il se compose essentiellement d’assurance-vie et d'épargne retraite, pour 40%, puis de 36% de liquidités (comptes courants et livrets). Les valeurs mobilières (actions, obligations…) représentent 14% et, enfin, 10% sont en épargne salariale.

La part du patrimoine financier qui nécessite du conseil se résume principalement à la part en unités de compte de l’assurance-vie et aux valeurs mobilières. La démonstration du conseil semble difficile à faire, même sur cette part résiduelle. Bien qu’obligatoire, la transparence sur les caractéristiques des produits (risques, frais, durabilité) et la matérialisation du conseil ne sont pas encore des pratiques courantes. Le constat réalisé sur les pratiques commerciales de 105 points de vente entre juin et octobre 2022 par l’AMF (2) montre que:

- dans deux tiers des visites, aucun document n’a été remis concernant les frais. Le sujet n’a été évoqué qu’une fois sur deux;

- le rapport d’adéquation défini par la MIF2 n’a été remis après la visite qu’une fois sur dix. Or ce document est obligatoire en situation de conseil, c’est-à-dire à chaque investissement patrimonial.

L’arbitrage qui matérialise le conseil dans la durée est également une pratique exceptionnelle. Une étude (3) réalisée en 2019 sur 150.000 contrats d’assurance-vie montre que 92% d’entre eux n’ont fait l’objet d’aucun arbitrage en 2018.

Pour terminer ce tour d’horizon, il faut ajouter que le conseil patrimonial incluant les dimensions juridiques et fiscales est absent pour les clients du segment «upper affluent». Ils représentent 3 millions de foyers fiscaux, qui détiennent entre 500.000 euros et 3 millions d’euros de patrimoine global. Ils sont généralement pris en charge par le CGP d’un réseau, qui leur propose les produits du groupe, et/ou par des CGP indépendants, qui, à 77%, ont des accords privilégiés avec un ou plusieurs fournisseurs de produits financiers.

Quel que soit le circuit de distribution, le conseil est peu matérialisé et les investissements sont rarement mis en adéquation avec les objectifs du client. Par conséquent, le client peut difficilement avoir un regard critique sur la qualité de la prestation, et donc évaluer son prix. Interdire les rétrocessions ne changera pas cet état de fait mais engendrera en revanche les effets collatéraux sus-décrits. Il est louable de vouloir baisser les prix de vente des produits mais, en matière financière, il faut avant tout être bien conseillé.

Les clients patrimoniaux ont besoin d’un conseil de qualité. Celui-ci est rarement délivré, ou seulement à l’oral, car formaliser des engagements nécessite du temps et de l’expertise et engendre des risques.

Pour une pratique socialement responsable

Les clients ont besoin d’un conseil de qualité. Cependant, celui-ci est rarement délivré, ou seulement à l’oral, car formaliser des engagements nécessite du temps, de l’expertise et engendre des risques. La documentation client demandée par le régulateur pour un distributeur de produits financiers contient déjà beaucoup d’informations. Sur cette base, le conseil peut déjà être délivré sans alourdir le processus. Il est cependant nécessaire de formaliser la relation entre le client et le distributeur. Elle devra prendre la forme ; soit d’une charte de fonctionnement de la profession ; soit, plus contraignant, d’un contrat de services standardisé. Celui-ci assurera que lors de l’entrée en relation, le distributeur analyse avec le client, l’ensemble de sa situation patrimoniale, ses objectifs, son appétence aux risques, ainsi que ses contraintes d’investissement. Il élaborera un plan d’actions, juridique, fiscal et financier. Il proposera ensuite les produits financiers adaptés, et introduira ses fournisseurs en précisant la nature des relations entretenues. Pour finalement définir les modalités de suivi de son portefeuille ainsi que et les indicateurs d’arbitrage.

Ce dispositif garantira l’adéquation entre les produits et la trajectoire patrimoniale du client. Une partie de la profession devra monter en compétences et/ou aller chercher les expertises nécessaires (outils d’analyse, internalisation et/ou sous-traitance). C’est l’unique moyen pour que la rémunération soit comprise et acceptée par les clients. Elle pourrait être un mix transparent entre honoraires et rétrocessions. Il existe déjà des expériences de conseil rémunéré aboutissant à la vente de produits qui donnent des résultats très positifs y inclus commercialement (4). Sans la mise en place d’un dispositif de cette nature, la distribution des produits financiers se fera certainement sans rétrocessions.

(1)« Le patrimoine économique national en 2021 », Inès Karmous (Insee), Aurélien Ravary (Banque de France),28/09/2022.

(2) Lettre de l’observatoire de l’épargne de l’AMF, mars 2023, article sur les visites mystères conduites par l’AMF en 2022.

(3) « Modélisation du comportement d’arbitrage en assurance-vie », mémoire présenté le 07/11/2019 par Sofiane Feniza devant l’Ensae ParisTech pour l’obtention du diplôme de la filière Actuariat.

(4) Vague ou tsunami en approche ?

Un évènement L’AGEFI

Plus d'articles du même thème

ETF à la Une

Les plus lus

Contenu de nos partenaires

PARTENARIAT
Par WisdomTree

Investir dans la renaissance de la défense européenne

PARTENARIAT
Par ALTAROC

Comprendre les mécanismes de performance du Private Equity

PARTENARIAT
Par Sienna Investment Managers

« Le FCPR Sienna Private Assets Allocation a été co-construit avec les assureurs »

A lire sur ...