La banque privée face à ses nouveaux chantiers

Changement de braquet. Le Forum de la gestion privée 2024 voit grand. Non content de s’adresser aux banques privées et d’aborder les multiples défis auxquels ces établissements doivent répondre, la manifestation s’est ouverte plus largement encore à l’écosystème. Les family offices et des acteurs au rôle prépondérant dans le monde des wealthtech ont trouvé leur place. Tous apportent leur pierre à l’édifice au sein d’une banque privée qui, tout en faisant face à une concurrence toujours plus forte, s’est trouvé de nouveaux chevaux de bataille. Présentation d’un concentré d’expertises et de retours d’expérience à l’occasion d’une journée exceptionnelle de débats et d’interviews. Au cœur des défis.
Tout est en place. La banque privée continue d’attirer, de séduire, voire de faire rêver. De là à imaginer cet univers figé, il y a un pas. Ce monde évolue, et vite. Résultat, les établissements présents dans la place ne cessent de s’organiser pour faire face tant aux nouvelles attentes de leurs clients (finaux ou family offices) qu’à une concurrence aux multiples visages. Il semble à ce jeu que des tendances fortes se dessinent cette année et qu’on a pu établir des marqueurs assez nets.
Côté clients, de nouvelles attentes se font jour. « Nous constatons un besoin de qualité dans l’information et dans la transparence, concomitant au parcours de montagnes russes des marchés actions et obligataires, avec la forte baisse de 2022 suivie de la nette reprise de 2023 », explique Nicolas Otton, directeur de BNP Paribas Banque Privée. La recherche de transparence est également un phénomène perçu par Mathieu Vedrenne, CEO de Société Générale Private Banking France, qui voit son origine dans le renforcement de la relation de confiance entre la banque et son client mais aussi sous l’impulsion de la réglementation. Le responsable va plus loin en notant l’émergence accrue d’acteurs comme les multi-family offices (MFO), qui ont recours à de nombreux appels d’offres. Pour le reste, « les clients veulent du service, de la performance, de la confidentialité, de la disponibilité, de la proximité et que le prix soit adapté, détaille Mathieu Vedrenne. Dans ce cadre, la notion de frais ne prime pas systématiquement. »
« Nous constatons un besoin de qualité dans l’information et dans la transparence, concomitant au parcours de montagnes russes des marchés actions et obligataires. » Nicolas Otton, directeur de BNP Paribas Banque Privée
De façon plus surprenante, toujours côté clients, l’investissement socialement responsable (ISR) semble marquer le pas dans la banque privée. Il y a moins d’appétence pour les fonds article 9 au sens de la directive CSRD. Mais est-ce à dire que les performances s’imposent sur ce type d’investissement ? Ce serait aller vite en besogne car les investisseurs veulent toujours de la durabilité. « Même si l’offre de stratégies ESG (environnement, social, gouvernance) souffre d’un manque de diversification, notamment dans le domaine du social, nous évoluons dans un monde où, pour une question de performances et d’analyses, nous opérons tous un virage pour intégrer l’ESG à 100 %. A terme, si tout se passe bien, nous n’en parlerons plus », avance Alexandre Drabowicz, directeur des investissements chez Indosuez Wealth Management. Preuve qu’il ne s’agit pas d’une lame de fond, à la différence de la clientèle privée, les grands family offices veulent mener leurs propres projets en matière d’ESG, faire leurs propres choix. « Les family offices ne sous-traitent pas leurs convictions mais portent leurs efforts vers la philanthropie, la gestion à impact, les fonds solidaires. Et cela va aller en s’accroissant car nous ne sommes qu’au début de l’histoire », prédit Nicolas Otton. « Nous mettons tout en œuvre pour être une banque privée à l’écoute des enjeux de société et en matière de recherche d’impact, il n’y aura pas de retour en arrière, confirme Mathieu Vedrenne. Pour autant, il n’y a pas non plus de one-size-fits-all chez les clients. Certains affichent une vraie volonté de give back, notamment les nouvelles générations d’entrepreneurs, tandis que des clients plus classiques peuvent être moins sensibles à ce sujet. » Il y a donc un vrai travail de formation et de sensibilisation à réaliser pour que le banquier porte lui-même cette cause. Et à ce titre, Matthieu Guignard, global head of wealth services and solutions, pointe un grand décalage entre la volonté des banques privées de développer des offres ISR et l’appétence des clients finaux. D’autant qu’il y a toujours une difficulté à expliquer ce qu’est l’ISR...
Naturellement, impossible pour les intervenants de ne pas revenir sur la concurrence que se livrent les différents acteurs présents sur le créneau de la banque privée. Avec, en sous-jacent, la nécessité pour les établissements de marquer leurs différences. Sur ce sujet, deux tendances semblent se dégager : une qui vise la réduction des coûts au sein de la banque et une autre qui porte sur l’offre au sens large du terme. La première tendance se matérialise par le poids croissant de la gestion passive en distribution directe ou non. « Les ETF permettent à la fois de réduire les coûts et de gagner en rapidité, résume Alexandre Drabrowicz. Ils sont réclamés par nos clients, et certains d’entre eux ne veulent que ces produits. » La banque privée n’y perd pas son âme pour autant puisqu’elle maintient sa valeur ajoutée via la délivrance de conseils en matière d’allocations. La seconde tendance confirme d’ailleurs l’importance de disposer d’une offre de placements à côté de cette gestion passive. Outre une gestion active sous la forme de fonds thématiques fortement et durablement ancrés dans le paysage financier, on retrouve des actifs privés, des placements non cotés, alternatifs, etc., pour lesquels le prix n’est pas ici l’élément-clé, s’agissant de solutions complexes, moins liquides mais performantes. « Dans ce contexte, une offre sous forme de package est une force, convient Matthieu Guignard. Nous sommes en mesure d’intervenir à l’actif comme au passif, de faire du private asset, de l’assemblage, de construire des portefeuilles. Et comme nous pouvons également sélectionner les meilleurs gérants, nous pouvons, grâce à ces packages, faire baisser les coûts… »
« La qualité de l’offre des produits est un marqueur important, insiste Nicolas Otton. Mais la capacité à répondre aux besoins de tous les clients en est un autre. Il faut effectivement être capable de proposer une approche globale et rappeler à nos clients leurs objectifs patrimoniaux. Loin du push produit. Nous avons monté le niveau de notre offre et notre capacité à faire du sur-mesure grâce à un modèle intégré, très synergique, regroupant des activités comme le M&A, l’investment banking ou le private equity. » De fait, la taille de la banque ressort comme un élément-clé et les petites banques – « artisanales » par nature – seraient à ce titre désavantagées.
« Les clients veulent du service, de la performance, de la disponibilité, de la confidentialité et que le prix soit correct. Dans ce cadre, c’est rarement la notion de frais qui prime. » Mathieu Vedrenne, directeur de Société Générale Private Banking
Le directeur de BNP Paribas Banque Privée voit également dans les family offices ses vrais concurrents. « Mais nous avons de meilleures offres et savons travailler sur le temps long, ajoute Nicolas Otton. Les family offices interviennent lors de la liquidation de l’entreprise. Nous ne sommes pas dans cet environnement car nous sommes en mesure d’accompagner des années durant. » Pour sa part, Mathieu Vedrenne rappelle l’organisation de sa banque, qui a monté une équipe dédiée pour travailler avec les multi-family offices. Ces entités creusent leur sillon dans l’univers de la banque privée. « Il y a une professionnalisation de ces intermédiaires, qui affichent des niveaux de compétence et d’exigence issus du monde institutionnel », insiste Alexandre Drabowicz. Ce dernier revient également sur le rôle des partenaires dans l’univers de la banque privée et sur l’émergence de ces infrastructures, notamment des plateformes, qui permettent de passer des ordres, de gérer les fonds et portefeuilles clients etc. « Elles offrent la possibilité aux banquiers de se concentrer sur leur métier : gérer les capitaux confiés par leurs clients », expose Alexandre Drabowicz.
Sans être nouvelle, la numérisation continue de figurer comme une attente forte dans la banque privée. Mais il convient de distinguer celle qui permet d’envisager des clients autonomes de celle qui s’affiche dans l’interaction entre les conseillers et les clients pour arriver à normer leur parcours. « On est encore au milieu du gué sur le sujet, explique Matthieu Guignard. D’un côté, les clients y sont favorables pour des interactions courantes et des services simples. De l’autre, il est nécessaire d’accompagner le conseiller car le parcours client devient de plus en plus complexe du fait de contraintes réglementaires et économiques plus fortes. Les banques privées veulent normer et industrialiser ce contact client avec leurs conseillers. Il en va de leur efficacité commerciale et économique. » A ce titre, avoir une approche globale sur la chaîne de valeur permet de « réduire les coûts, d’accompagner les conseillers dans leur vente via le numérique et de disposer d’une offre performante », résume Matthieu Guignard.
Enfin, pour marquer sa différence, Société Générale Private Banking France a aussi fait de la proximité avec ses clients son credo. Dans la droite ligne du rapprochement avec le Crédit du Nord, la banque au logo rouge et noir a fait le choix d’implanter dans chaque région de son réseau des gérants de portefeuilles, des banquiers privés sur le segment UHNW, etc. Non sans faire de ces derniers des « banquiers augmentés » qui peuvent s’appuyer sur un dispositif digital innovant que la banque a élaboré, comme les diagnostics patrimoniaux digitaux.
▶ L’IA, des contours à cerner dans la banque
L’intelligence artificielle (IA) et la banque privée ? Un univers si large face à un milieu si fermé… Voilà sans doute pourquoi l’IA y creuse son sillon mais est encore loin d’avoir investi en force ce monde feutré. « Il y a peu d’expertise en matière d’IA dans le monde de la banque privée, avoue Cédric Dailly, responsable transormation digitale chez Louvre Banque Privée. Il y a un véritable enjeu entre la nature conservatrice de la banque privée et la modernité de l’IA, ainsi qu’entre l’immense opportunité de disruption que représente l’IA et les challenges importants dans sa mise en place », appuie Edouard de Saint-Pierre, directeur général de Lombard Odier France. Dit autrement, cette technologie hors normes en est encore au stade de model lab et suscite d’importantes réflexions. Outre des questions de réglementation, de coûts et de sécurité, Edouard de Saint-Pierre pointe pour l’heure des limites techniques.
A commencer par la structuration des données dont disposent les banques et la façon dont elles peuvent utiliser au mieux ces informations. « Nous devons impérativement les structurer car l’intelligence générative viendra créer du contenu sur la base des données qu’on lui fournira, détaille-t-il. D’autres interrogations se posent alors, notamment de savoir comment on s’assure que la donnée est de qualité et robuste. De fait, la banque privée en est actuellement à l’étape de définir l’utilisation de l’IA en son sein. La révolution étant en marche, c’est surtout sur le plan opérationnel et de la conformité que les professionnels attendent la plus grande ‘disruption’. Au vu de la puissance de la technologie, on commence à percevoir les leviers potentiels sur la compilation de reporting, sur l’amélioration de process automatisé, la mise en place de bot », explique Cédric Dailly.
Donc, sans être forcément générative, l’IA permettrait de remplacer du temps-homme dédié à des tâches à faible valeur ajoutée, voire, compte tenu de sa force de calcul, de remplacer les analystes financiers. « Le terrain de jeu est immense, confirme Guillaume Eveillé, chief operating officer chez Natixis Wealth Management. Et l’objectif est d’investir là où on peut retirer de la valeur. Pour cela, nous sommes allés voir les apports tant dans le domaine de la gestion, de l’administratif que de la compliance. Deux sujets ont émergé : l’IA pour aider le banquier dans la réalisation d’une proposition commerciale et dans le domaine du réglementaire. »
Ce peut être aussi un outil efficace pour lutter contre la fraude. Ce point de vue est partagé par Christopher Soares, CIO/CTO chez ABN Amro, qui distingue l’apport de l’IA pour gagner du temps commercial (via la production de rapports de synthèse et de comptes rendus) de celle qui fait un banquier « augmenté » en étant une aide à la prise de décision. « En gestion privée ou de fortune, l’exposition au risque et le rééquilibrage des allocations sont déjà en cours via les robo-advisors, mais l’IA va encore augmenter ces services à très court terme, de l’ordre de douze à dix-huit mois, en intégrant les horizons de placement, des préférences, etc. Nous réfléchissons également à la mise en place d’un Amazon advisor permettant de réaliser des recommandations sur des campagnes de produits structurés, par exemple en ayant identifié des clients qui pourraient être intéressés, confie Christopher Soares. A charge cependant pour le banquier de juger s’il est pertinent de proposer au client l’offre en question. »
Si les services envisagés sont malgré tout nombreux et importants, l’IA ne franchira pas tout de suite la frontière qui la sépare du client. Elle ne se positionnera pas comme étant l’interface entre la banque et ce dernier, dès lors que le métier de banquier privé est avant tout basé sur l’intuitu personae et entend le rester. « Dans tous les cas, le banquier garde la main, affirme Christopher Soares, ce qui fait de l’IA un outil débrayable. » Pourtant, l’évolution démographique de la clientèle pourrait rebattre les cartes. « Les millennials se présentent comme un défi, explique Edouard de Saint-Pierre. C’est une génération qui n’a pas de temps à perdre et souhaite comprendre en quelques minutes votre valeur ajoutée. » Et Christopher Soares d’ajouter : « Chez ABN Amro, on distingue bien chez les millennials leur appétence pour les cryptomonnaies notamment, où la banque se sent en retrait, et du selfcare, ainsi que la volonté des intéressés d’être maîtres de leurs décisions. L’IA va nous aider à développer des moteurs de règles pour aider nos clients à se positionner sur différentes alternatives mais nos banquiers se sentent un peu menacés. » Les millennials feront donc pression pour que les banques avancent sur le sujet de l’intelligence artificielle. Pour autant, sur ses fondements, la banque privée n’est pas remise en cause. « Dans le règlement d’une succession compliquée, par exemple avec la présence de conflits familiaux, l’IA n’a pas sa place. Ce que veulent nos clients, c’est de l’accompagnement », ajoute le directeur de Lombard Odier France. « En matière de digitalisation, les clients sont très demandeurs », souligne Yoan Chazal, associé chez Deloitte, faisant à ce titre référence à une récente étude mondiale du cabinet conseil. Et dans ce cadre, la génération Z, dite « digital native », se pose en fer de lance. La solution dans la banque privée doit être hybride, entre numérique et conseil. « Mais qu’on ne s’y trompe pas, insiste Yoan Chazal, à plus long terme, les jeunes anticipent de pouvoir se passer du conseil. Il faudra un peu de temps, mais à l’horizon 2030, la question se posera sans doute avec encore plus de force », prédit le spécialiste. « Je crois à une cohabitation avec l’IA, résume Cédric Dailly. Dans un premier temps, elle prendra la forme d’une cohabitation des process afin de donner du temps relationnel aux banquiers. Dans un second temps, elle pourra endosser le rôle de levier d’accompagnement en s’inscrivant dans un système d’information lors de moments-clés de la vie du client et, ce faisant, accompagner la démarche commerciale. »
Pour le reste, « entre excitation et peur, la demande majeure de la clientèle porte surtout sur une poursuite de la digitalisation, expose Edouard de Saint-Pierre. Même si la pression à ce titre est beaucoup plus forte dans l’univers retail que dans la banque privée, dont le business model est basé sur la relation humaine. » Il est donc précipité d’imaginer l’IA comme l’interface avec les clients. Ne serait-ce qu’en raison de la nécessité pour le banquier de se roder avec cette technologie. « Il faut beaucoup d’éléments pour que l’IA puisse effectivement révolutionner le monde de la banque privée, conclut Yoan Chazal. Des donnée fiables, une gouvernance et de la sécurité. La technologie est très prometteuse et doit permettre d’avancer vers une compréhension toujours plus importante des attentes du client et une personnalisation accrue de la gestion de la relation. Il convient d’avancer avec méthode pour recueillir tous les bénéfices des investissements nécessaires… »
« Pour envisager que l’IA puisse façonner les métiers, il faudra bien dix ans, appuie Guillaume Eveillé. En attendant, on ne peut pas s’en désintéresser et il faut bien garder à l’esprit l’idée que sa présence est en mesure de perturber les standards mis en place. Des automatismes vont voir le jour dans un univers qui se définit par son approche sur mesure, explique Guillaume Eveillé. Au bout du compte, l’IA permettra de gagner en efficacité mais ne sera pas à l’origine d’un chômage de masse dans la banque. »
▶ L’obligataire retrouve ses lettres de noblesse
Comme une renaissance. Ecrasée par une vaste période de taux bas, voire nuls, la classe obligataire a longtemps disparu des radars dans les allocations. Jusqu’à la brutale remontée des taux, concomitante au retour de l’inflation. « La situation a connu plusieurs étapes avant que la clientèle privée ne s’y intéresse, confirme Rachid Medjaoui, directeur adjoint de la gestion privée de Louvre Banque Privée. Il y a d’abord eu la hausse des taux et l’écartement des spreads qui ont été à la source de rendements séduisants. Les banques en ont alors profité pour proposer des fonds datés avec l’idée qu’on se situait dans une fenêtre et que cela n’allait pas durer. » Produits à succès s’il en est, les fonds à échéance cumulent les avantages, dont une maturité figée, un confort d’investissement et l’absence de timing de sortie. Sa lisibilité a ainsi participé à son succès.
Dans ce contexte, ce sont les obligations crédit (investment grade) qui ont eu rapidement les préférences des gérants pour élaborer leur offre. Avec la conviction que les rendements proposés par ces titres, certes moins importants que ceux des obligations à haut rendement (high yield), s’inscrivaient dans une logique bénéfice/risque qui leur était favorable. Pour autant, vers la fin de l’année 2023, compte tenu du resserrement des spreads, des fonds à échéance intégrant des titres high yield ou faisant la part belle à ces actifs, ont fait leur apparition. « La catégorie investment grade a bien performé mais force est de reconnaître que le high yield a surpris favorablement, détaille Boutaina Deixonne, responsable du crédit euro investment grade et high yield chez Axa IM. Nous pensons que cela ne va pas disparaître, mais des dossiers d’émetteurs ayant un fort risque de défaut ont remis au goût du jour l’intérêt pour une vraie gestion active et fondamentale. » De quoi justifier également l’intérêt de produits total return, des produits non contraints décorrélés des indices et composés de titres crédit investment grade et à haut rendement, ainsi que des futures et des credit default swaps (CDS).
Aussi favorable soit-il, le contexte n’en demande pas moins de la prudence. « L’obligataire est un actif à consommer mais avec modération, prévient Rachid Medjaoui, et que cela soit dans le cadre d’une gestion diversifiée ou non. » Alors qu’on entrevoit deux ou trois baisses de taux par les banques centrales d’ici à la fin de l’année, il manque une lecture de l’évolution des taux longs et, de facto, du niveau de l’OAT compte tenu des besoins en dette des Etats, dont la France. « Le retour de l’inflation doit par exemple nous mettre en garde sur des offres inférieures à 4 % sur cinq ans », avertit Rachid Medjaoui. De son côté, Nicolas Budry, head of global advisory proposition chez HSBC Private Banking France évoque l’important travail d’éducation financière à réaliser auprès des clients qui ont parfois des difficultés à appréhender la performance à attendre des fonds obligataires. « Nous avons plusieurs situations, explique-t-il, la gestion discrétionnaire où la duration a été allongée et qui est structurellement plus investie sur l’obligataire, et la gestion conseillée qui est souvent plus défensive, voire qui présente un biais absolute return et où l’on va, par exemple, privilégier des fonds datés qui donnent une bonne visibilité sur la performance. Quoi qu’il en soit, la duration se présente comme un élément-clé désormais, et nous essayons actuellement de faire reprendre de la duration à nos clients », ajoute Nicolas Budry.
« Des dossiers d’émetteurs ayant un fort risque de défaut ont remis au goût du jour l’intérêt pour une vraie gestion active et fondamentale. » Boutaina Deixonne, responsable du crédit euro investment grade et high yield chez Axa IM
Il est vrai que de nombreux investisseurs privés ont cédé au charme des comptes à terme et des Sicav monétaires, directement affectés par la hausse des taux courts. Il conviendra le moment venu de réorienter les montants placés sans risque vers la classe d’actifs obligataire. Mais chaque établissement peut avoir ses spécificités. Au sein du family office iVESTA, Nour Bendimered, responsable des investissements cotés évoque une stratégie barbell en matière de produits de taux, basée sur l’horizon d’investissement. « Nous raisonnons en profils de risque mais également en horizon de placement, explique-t-il. Pour les maturités les plus courtes, nous avons souscrit des comptes à terme sur des durées de un à trois ans pour nos clients, dans une logique de cash management. De l’autre côté du spectre, nous retrouvons de la dette à plus haut rendement, sur des segments moins liquides tels que la dette privée ou les CLO (collateralized loan obligations, ndlr) ». Pour les investissements de moyen terme, iVESTA a réalisé au printemps 2023 un appel d’offres pour la structuration d’un fonds obligataire à échéance sur mesure pour le compte exclusif de ses clients, investit sur des obligations d’entreprises investment grade à plus longue duration, afin de profiter d’un effet multiplicateur en gain en capital et figer des rendements attractifs sur des durée plus longues. En matière de diversification, Nour Bendimered a également rappelé l’intérêt aujourd’hui des obligations d’Etat dans une allocation diversifiée pour leur nature décorrélée des marchés actions et leur rendement intéressant. Les obligations indexées à l’inflation ont également été une brique d’allocation intéressante dans un contexte inflationniste. Quant à la dette privée dont il a été question, les perspectives restent particulièrement favorables, notamment pour le segment Mid Market qui, contrairement au Large Cap, continue de profiter du désengagement bancaire et offre encore une prime d’illiquidité attractive avec des leviers moins élevés et donc plus protecteurs pour les prêteurs.
La classe d’actifs étant large, les investisseurs les moins enclins à l’aversion au risque pourront tenter de capter du rendement obligataire via de la dette émergente. Tout en relevant l’amélioration des fondamentaux de cette classe d’actifs, Nour Bendimered note cependant une certaine défiance de la part de ses clients et préfère s’en tenir à sa stratégie CLO. Quant à la dette privée dont il a été question, elle se présente désormais comme une alternative aux fonds datés en reposant par ailleurs sur des actifs tangibles et en apportant une notion durable à l’investissement. n
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