« C’est une réforme en profondeur du système juridique français qui est en marche »

“If itain’t broke, don’t fix it” (1) (T. Bertram Directeur du budget sous Jimmy Carter). Le gouvernement ne pourrait-il enfin s’occuper de réformer ce qui ne fonctionne pas plutôt que de réformer ce qui marche encore?
En attaquant les professions réglementées sans concertation et avec une analyse parcellaire et orientée, le gouvernement risque de rater l’objectif poursuivi.
Au regard du notariat, l’incohérence est criante. Le modèle juridique français repose sur un accès au droit pour tous économiquement fondé sur la péréquation: «les gros actes paient les petits». Le principe est simple et fonctionne avec succès depuis des siècles. Environ 60% à 70% des actes sont à perte (ventes inférieures à 150.000 à 200.000 €, testaments, mandat de protection future, contrats de mariage, de nombreuses successions etc…), mais sont efficacement compensés par la marge bénéficiaire réalisée sur les actes portants sur des capitaux importants. Les clients ayant une plus forte capacité contributive paient ainsi pour les clients les plus modestes.
Si l’on ouvre à la concurrence la rémunération de ces actes, comment peut-on espérer maintenir l’équilibre du système?
Ce qui s’est passé aux Pays-Bas l’illustre parfaitement. A la suite de la réforme réalisée, il y a un peu plus de dix ans, le coût des petits actes a considérablement augmenté et celui des actes portant sur des capitaux plus importants a baissé.
L’impact de la réforme est donc clair, il exclura du droit les moins aisés ou leur donnera un accès «low cost» !
Cette évolution favorisera les conflits. Une transaction immobilière sur trois donne lieu à un contentieux aux Etats-Unis. Grâce au notariat, il n’y en a qu’une sur 1000 en France.
L’accroissement des contentieux augmentera le coût pour les parties (frais liés aux procès), mais aussi pour la collectivité (il conviendra de recruter plus de juges). Est-ce ce système que l’on souhaite?
Parallèlement, la garantie notariale des actes disparaîtra.
C’est une réforme en profondeur du système juridique français qui est en marche.
Ces attaques sont d’autant plus surprenantes qu’elles interviennent alors que la profession notariale est un puissant pilier du rayonnement international de la France. L’implantation du notariat en Chine et au Vietnam, par exemple, en sont des illustrations. Dans la compétition économique internationale, où l’importance du système juridique est essentielle, cet appui du notariat au développement du système juridique romano germanique contre le système anglo-saxon est essentiel. Faut-il le fragiliser?
Quant à la liberté d’établissement qui est prônée, elle conduira, comme dans toutes les professions qui la connaissent, à une concentration dans les grandes villes et une désertification des campagnes. Après le désert médical, le désert juridique.
L’impact sur l’emploi n’est guère plus brillant. Les réformes envisagées, si elles voyaient le jour, imposeraient aux structures notariales une réduction de leurs charges conduisant au licenciement d’une dizaine de milliers d’employés aggravant encore la situation du chômage.
Last but not least, le notariat est un important collecteur d’impôts: droits d’enregistrement et impôt de plus-value dans les ventes immobilières, droits de succession, droits de donation, droit de partage etc… Avec la réforme envisagée, il conviendra de réorganiser cette collecte avec la même efficacité. Il faudra donc remplacer le système actuel qui ne coûte pas un euro à l’Etat, par un système qui coûtera à la collectivité.
Face à une réforme qui exclut les plus modestes, réduit la sécurité, augmente la judiciarisation de la société et l’insécurité juridique pour une espérance d’économie dont il est sûr qu’elle ne profitera pas à la grande majorité des français, il serait bon que le gouvernement prenne le temps de la réflexion et de la discussion!
Est-ce pour autant qu’il ne faut rien changer? Certainement pas, la société évolue et le notariat également. Son adaptation rapide à l’intégration des nouvelles technologies (actes électroniques, téléactes, etc…) sont des preuves de sa capacité d’évolution et d’adaptation aux besoins de la société.
Mais cette évolution doit être réalisée sans perdre l’âme d’un système qui a démontré son efficacité et permis l’accès au droit des plus modestes dans un environnement serein et sécurisé.
(1) Si ce n’est pas cassé, ne le répare pas.
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