« N’évolue-t-on pas vers les ABS de droit anglais, les fameuses Alternatives Business Structures ?»

L’Agefi Actifs - Que prévoit le projet de loi Macron s’agissant des structures d’exercice, et quelles sont vos craintes à ce sujet?
Didier Coiffard - Pour apprécier la portée de la réforme proposée il convient de se placer sur deux niveaux de détention; celui des structures d’exercice et celui des sociétés de participation financière des professions libérales, les SPFPL. Sur le premier niveau, celui des structures d’exercice, le texte pose comme principe celui de la détention majoritaire par les professionnels en exercice. Mais aussitôt, il est apporté une exception qui pourrait avoir la portée d’un principe: le contrôle peut se faire par les professionnels exerçant une profession juridique. Nous pourrions avoir des avocats qui contrôlent des notaires, voir des avocats anglo-saxon devenir majoritaire d’une société d’exercice libérale titulaire d’un office notarial, d’un office d’huissier par exemple.
Le texte prévoit aussi la possibilité de recourir à toutes formes sociales à l’exception de celles donnant la qualité de commerçant. Cette possibilité ne préfigure-t-elle pas une évolution vers les ABS de droit anglais, les fameuses Alternatives Business Structuresqui accueillent tous types de capitaux?
Mais la grande nouveauté serait la possibilité de regrouper les professions du chiffre et du droit au sein d’une même structure d’exercice qu’il s’agisse de professionnels nationaux ou internationaux.
De ce point de vue, le projet de loi ne fait pas preuve d’une grande imagination et d’une grande connaissance des besoins de nos clients. Sur le terrain les collaborations existent et se font en bonne intelligence et dans l’intérêt du client. Quand nous choisissons un juriste pour accompagner un client nous le faisons sur la base de critères tenant à la compétence par rapport au besoin exprimé par ce client. Nous ne le faisons pas à raison des liens capitalistiques qui nous unissent. Et ça c’est une véritable garantie.
Sur le deuxième niveau, celui des SPFPL, on trouve par parallélisme avec les règles prévues pour les sociétés d’exercice, la possibilité de contrôler des filiales exerçant l’une des professions juridiques.
Quels éléments essentiels avez-vous retenu de ce colloque(1) ?
De l’intervention de tous les professionnels présents, l’unanimité s’est faite pour considérer que ce qui est proposé va porter atteinte à l’indépendance et à l’impartialité des professionnels en exercice et par voie de conséquence à l’objectivité et à la pertinence des conseils donnés. C’est aussi un bouleversement du service public de la justice, que ce soit dans la prévention des conflits, la prévention des contentieux inutiles alors même que l’appareil judiciaire n’est pas en mesure de faire face à l’accroissement des contentieux.
On voit tout de suite surgir les conflits d’intérêts qui vont se poser au sein d’une même structure. Rappelez-vous le scandale d’Enron qui a abouti à la disparition du cabinet d’audit Arthur Andersen. Il est envisagé qu’un officier public n’ait pas de fonctions de direction au sein d’une structure d’exercice alors même que cet officier public a la responsabilité de fonds publics et qu’il engage la responsabilité collective d’une profession et plus grave, le sceau de l’Etat. Au mieux lui réserve-t-on un strapontin dans un organe de contrôle.
Si l’on se situe dans une société pluriprofessionnelle d’exercice, on atteint des sommets.
En effet, les experts comptables peuvent avoir dans leur capital des sociétés de capitaux. En d’autres termes, nous allons permettre à des groupes étrangers de détenir une parcelle de l’autorité publique de l’Etat. Ceci n’est rien de moins qu’une renonciation à une fonction régalienne !
Des parlementaires étaient présents. Comment envisagent-t-il les débats du projet de loi Macron devant le Sénat? Des marges de manœuvre sont-elles envisageables concernant les mesures qui intéressent le notariat?
Les deux parlementaires se sont rejoints pour constater que dans le débat actuel, l’exclusion du ministère de la justice, la présence des professions règlementées dans le Code de commerce et l’intervention de l’autorité de la concurrence, constituaient une démission intellectuelle et une méconnaissance totale des missions confiées aux professions réglementées. Quant aux marges de manœuvres personne ne s’est risqué à faire des pronostics tant nous sommes dans l’irrationnel sauf à penser que tout ceci n’est fait que pour transformer les professions règlementées pour les rendre juridico-compatible avec le droit anglo-saxon dans la perspective du traité transatlantique. En d’autres termes on est en train de se tirer une balle dans le pied car le droit est une arme essentielle de la guerre économique.
(1) Intervenants au colloque: Didier Coiffard, Yves Gaudemet, professeur à Paris 2 Panthéon-Assas, Damien Brac de La Perrière, notaire, Cyril Nourrissat, professeur à Lyon 3 Jean Moulin; Le point de vue des avocats aux conseils, des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires, des greffiers des tribunaux de commerce, des commissaires-priseurs judiciaires, des notaires, et de la Caisse des dépôts
Plus d'articles du même thème
ETF à la Une
Contenu de nos partenaires
-
Pénuries
En combat air-air, l'aviation de chasse française tiendrait trois jours
Un rapport, rédigé par des aviateurs, pointe les « vulnérabilités significatives » de la France en matière de « supériorité aérienne », décrivant les impasses technologiques, le manque de munitions et les incertitudes sur les programmes d'avenir -
Escalade
L'armée algérienne passe à la dissuasion militaire contre la junte malienne
La relation entre Alger et Bamako ne cesse de se détériorer ces derniers mois alors qu'ex-rebelles et armée malienne s'affrontent à la frontière algérienne -
En panne
Pourquoi les Français n’ont plus envie d’investir dans l’immobilier
L’immobilier était le placement roi, celui que l’on faisait pour préparer sa retraite, celui qui permettait aux classes moyennes de se constituer un patrimoine. Il est tombé de son piédestal. La faute à la conjoncture, à la hausse des taux, à la chute des transactions et à la baisse des prix, mais aussi par choix politique : le placement immobilier a été cloué au pilori par Emmanuel Macron via une fiscalité pesante et une avalanche de normes et d’interdictions