Les CGPI entre l’inquiétude et l’attentisme
Entre l’anticipation, voire la précipitation, ou a contrario l’impréparation, et pour ne pas dire l’indifférence, les réactions de la profession ont été diverses depuis que les instances européennes, dans le cadre de la révision des directives MIF (Marché d’instruments financiers) et DIA (intermédiation en assurances), ont mis sur la table l’interdiction des rétrocessions de commissions comme remède au conseil biaisé. Le cas de la Grande-Bretagne, qui a interdit les commissions pour les conseils indépendants, a d’ailleurs orienté les travaux à Bruxelles et contribué à alimenter l’inquiétude des conseillers en gestion de patrimoine indépendants (CGPI) (lire l’encadré).
Aujourd’hui, la directive MIF II a acté le reversement des commissions au client pour les professionnels rendant un conseil en investissements sur instruments financiers et, s’agissant de l’assurance vie, le principe de la transparence des commissions est prévu, la DIA II, toujours en cours de négociation, laissant pour le moment le choix aux Etats membres de mettre ou non en place une interdiction des commissions.
Ces textes témoignent à tout le moins que cette épée de Damoclès a encore de belles années devant elle. Ils devraient aussi inciter la profession à revoir son modèle économique à l’heure où les régulateurs nationaux ont un avis sur la question du commissionnement sur encours, ce dernier devant constituer la contrepartie d’un conseil rendu sur la durée de vie du placement.
Un modèle assis sur les commissions.
Pour justifier la rémunération de l’intermédiaire auprès du client, et par conséquent faire valoir son conseil, peu importe après tout le mode de rétribution (commissionnements ou honoraires). Sauf que la réalité est complexe et que la part des honoraires reste minoritaire.
A ce jour, la part des honoraires dans le chiffre d’affaires des CGPI est assez disparate et représente moins de 10 % de celui-ci pour 55 % des CGPI ayant répondu à la dernière enquête annuelle de L’Agefi Etudes. Ils sont 15 %, contre seulement 9 % en 2012, à affirmer réaliser plus de 30 % de leur chiffres d’affaires par le biais d’une facturation d’honoraires de conseil. Apredia, dans son Livre Blanc 2014 sur les CGPI, indique que sur l’exercice passé, le nombre de cabinets CGPI facturant le conseil en stratégie patrimoniale se stabilise : près de 78 % des indépendants le font, contre 79 % en 2012. Mais la facturation de cette activité n’est toujours pas systématique. Elle concerne une part variable de la clientèle selon les cabinets.
Des associations vigilantes mais sereines.
Interrogées par L’Agefi Actifs, les associations professionnelles n’ont pas l’intention pour l’heure de conseiller à leurs membres une quelconque conduite à tenir.
Ainsi, le président de l’Anacofi, David Charlet, rappelle qu’« il faut avoir à l’esprit que nos membres entendent cela depuis des années et, comme beaucoup, ils ne parviennent pas à avoir une vision claire de ce que sera ce fameux ‘conseil indépendant’ qui interdira - totalement ou pas - les rétrocessions de commissions. Voilà la réalité. On est donc dans une situation très anxiogène du fait d’un flou extrême et de nombreuses inconnues. Il est trop tôt pour recommander quoi que ce soit. Proposer une solution sans connaître le texte, c’est proposer une option ‘pseudo concrète’ dans un scénario de ‘science-fiction juridique’ ».
De son côté, Benoist Lombard, le président de la Chambre des indépendants du patrimoine, affirme qu’«il ne sert à rien d’alarmer nos membres avec l’interdiction des rétrocessions de commissions pour le conseil indépendant dans la mesure où les contours n’en sont pas encore arrêtés et qu’en tout état de cause, l’assurance vie n’est pas concernée par la directive MIF II. Nous trouvons ainsi sans fondement les solutions d’anticipation aux directives en cours de rédaction à Bruxelles ».
Jean-Pierre Rondeau, président de La Compagnie des CGPI, maintient sa position : « A la Compagnie des CGPI, nous sommes confiants depuis septembre 2011, date de notre rencontre avec les fonctionnaires en charge de MIF II à Bruxelles. Nous n’avons pas cherché à inquiéter nos adhérents. Certes, le combat n’est pas gagné, mais nous restons confiants quant au maintien des rétrocessions. »
Stéphane Fantuz, président de la CNCIF, est clair lui aussi mais tient à souligner l’anxiété de ses adhérents : « Nos membres sont extrêmement inquiets et se demandent si la profession de CGP qui, selon la dernière étude Apredia, devrait être créatrice d’emplois, va continuer à porter des semelles de plomb de plus en plus contraignantes avec le risque de ne pas se développer comme elle le pourrait, ou si les autorités en charge de la mise en place de cette directive vont tenir compte de l’intérêt des épargnants et des professionnels que ces clients sollicitent, voire plébiscitent. Il est donc clair que rien n’est encore gagné et que la partie se joue maintenant. Notre position concernant Mifid reste complètement liée à la façon dont l’Esma (1) va rédiger les niveaux 2 sur Mifid et, ultérieurement, sur la façon dont les autorités françaises transposeront cette directive sur deux points essentiels : les notions d’indépendance et d’amélioration du service rendu au client pour prétendre pouvoir continuer à percevoir les commissions sur encours sur les produits financiers. »
Conserver ou non le « I » d’indépendant ?
Le sentiment des CGPI face à la perte ou non du « I » d’indépendance et à une transparence accrue de leurs rémunérations est aussi disparate que l’est la profession. Un CGPI témoigne : « Si l’interdiction des rétrocessions devait être confirmée, j’opterai vraisemblablement pour le statut de CGP non indépendant afin de conserver mes marges.». Un autre estime que «si les rétrocessions sur OPCVM devaient disparaître définitivement, ce qui représentent chez lui 20 % du chiffre d’affaires, cela remettrait en cause le modèle du cabinet de CGPI qui ne pourrait plus, avec ses recettes, faire face à l’inflation réglementaire. C’est peut-être ce que souhaitent les autorités de tutelle dans leur for intérieur...»
Valoriser le conseil sur la durée.
Depuis la recommandation de l’Autorité des marchés financiers (AMF) de juillet 2013 sur les rémunérations et avantages reçus dans le cadre de la commercialisation et de la gestion sous mandat d’instruments financiers, les CGPI doivent, au plus tard en janvier 2015, prouver à l’AMF que les commissions perçues sont la contrepartie d’un conseil sur la durée du placement conseillé au client.
Difficile de contredire ce principe et les dirigeants de cabinets interrogés par L’Agefi Actifs ne s’y risquent pas. Un CGPI estime : «Je pense qu’asseoir la rémunération sur encours sur l’existence d’un conseil d’accompagnement est, d’un point de vue déontologique, tout à fait justifié. Cela s’inscrit déjà dans notre approche et donc nous obligera à être plus formel dans cette accompagnement, et surtout à systématiser ce conseil permanent pour l’intégralité de nos clients… Cela nous amènera à améliorer la qualité de la relation client par la systématisation des rendez-vous de suivis. Certes, c’est une charge supplémentaire mais qui ne peut que conforter le rôle que l’on joue entre le client et ses avoirs détenus chez les fournisseurs.»
Pour Jean-Pierre Rondeau, «il faudrait méconnaître ce que sont les CGPI pour ne pas comprendre les responsabilités qui sont les nôtres, les risques et le travail qui en découlent, même quand nous maintenons un client dans un même OPCVM pendant plusieurs années. Il serait curieux que le fait de ne pas faire tourner les portefeuilles, comme certains le pratiquent, devienne un point négatif. »
Mais comme le remarque un professionnel, attention à l’empilement des frais et aux rôles des structures grossistes : « La problématique des intermédiaires est celle de la justification des marges conservées par eux ramenées au services rendus. Ce qui pose d’ailleurs la question de l’utilité des plates-formes, groupements et autres acteurs. Ces interfaces entre les compagnies et les CGP ne se justifient que si elles apportent une réelle valeur ajoutée au-delà de la facilité d’accès aux produits. »
Tout miser sur l’assurance vie…
L’idée est tentante de se « débarrasser » des comptes titres pour les basculer dans la coquille assurance, apparemment préservée jusqu’à nouvel ordre, et de les reconfigurer pour échapper à la suppression des rétrocessions. Une réponse de fournisseurs qui ne va rien changer au problème de fond, selon certains observateurs (lire l’avis d’expert d’Olivier Rozenfeld). Il y a des cabinets qui ne se trompent guère: «Si l’objectif est de contourner la législation, cela ne résout pas le problème du suivi des clients».
… ou devenir actionnaire d’une société de gestion.
Cette alternative existe, mais peut-elle être proposée à tous les cabinets ? Raisonnablement, la réponse ne peut être que négative : « Notre optimisme, non béat, a conduit la Compagnie à ne pas engager de réflexion et à attirer l’attention de ses adhérents sur ces prises de participation ou créations de PSI et de montages d’OPCVM réalisés pour tenter de contourner une réglementation qui ne sera peut-être pas aussi destructrice que ce que voudraient et prédisent certains prédateurs prêts à nous lier à eux. Bien sûr, notre position se limite au cas où ces créations de structures n’auraient que pour seul objectif le contournement de la disparition des rétrocessions. D’autres réflexions peuvent donner lieu à ces recherches. Néanmoins, nous pensons que nos autorités ne sont pas naïves et que l’image de l’indépendance peut en être affectée, sans parler, bien entendu, du risque de conflits d’intérêts », souligne Jean-Pierre Rondeau.
Le faux débat de l’indépendance.
Dans son Livre blanc 2014 sur le marché des CGPI, Aprédia pose la question suivante : pour votre activité, quels sont les sujets que vous trouver les plus préoccupants en 2014? En tête des réponses figure : l’évolution de la réglementation sur les rémunérations, suivies de la gestion administrative, des évolutions fiscales et des difficultés à convaincre les clients d’investir. La profession n’est-elle pas en train de jouer à se faire peur sur un mauvais terrain? Le principe issu de MIF est simple: « Le professionnel qui répond aux critères de l’indépendance devra restituer les commissions aux clients. Si l’on se cale sur la réglementation actuelle de l’intermédiation en assurance, l’indépendance signifie d’être en mesure de justifier de pouvoir comparer un nombre suffisant de contrats. Cette définition correspond à la fameuse catégorie de courtiers (c) prévue par le Code des assurances, catégorie qui n’a pas connu un franc succès, c’est peu dire », indique Henri Debruyne. Or, l’activité de courtage d’assurance n’ayant pas disparu, il n’y a peut-être pas lieu en effet de focaliser le débat sur ce sujet… (lire l’avis d’expert d’Henri Debruyne).
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