«La fin du Pinel est une aubaine!»

Cyrille Poy connait bien le monde de la promotion immobilière. Après avoir couvert le logement et la politique de la ville pendant 15 ans en tant que journaliste, il a lancé LesCityZens, société de conseil spécialisée dans la fabrique urbaine participative. En 2020, il pivote et lance Welcooom, une plateforme de programmation et de pré-commercialisation participatives permettant aux promoteurs programmer les projets à partir des besoins des ménages en recherche de logement.
Bien qu’il s’adresse aux promoteurs, Cyrille Poy est sceptique sur leur dépendance aux dispositifs d’incitation fiscale d’investissement locatif pour particuliers, comme le Pinel. La fin de ce dernier est programmée pour fin 2024. A priori il ne devrait pas être remplacé, comme l’a annoncé la Première ministre, Elisabeth Borne, lors de la restitution du Conseil national de la refondation sur le logement lundi 05 juin. Une décision que beaucoup applaudissent.
Entretien avec Cyrille Poy, président de LesCityZens
Vous faites partie de ceux qui voient d’un bon œil la fin du Pinel. Que lui reprochez-vous ?
Depuis 1984, ce type de dispositifs a contribué à créer des effets de distorsion entre l’offre et la demande hors investisseurs. Comme ces derniers sont davantage intéressés par leur rendement que par la qualité des logements, il en a résulté une standardisation et une offre pléthorique de petites typologies. Des études ont également montré son effet inflationniste sur les prix, en raison notamment de ses coûts de commercialisation parfois très élevés.
Il est compréhensible que les promoteurs aient utilisé le Pinel. Il leur a permis d’accélérer la commercialisation de leurs programmes. Mais la conséquence c’est qu’aujourd’hui, ils en sont devenus complètement dépendants. Ils ne savent plus faire sans. La disparition du Pinel, quoique brutale, est une aubaine, car ils vont pouvoir redécouvrir un métier : promoteur de logements pour des propriétaires occupants !
Le Pinel a empêché l’ensemble de la chaine de réfléchir et d’innover.
Avec quelles conséquences ?
Le Pinel et ses prédécesseurs ont changé la physionomie du marché du logement et des villes. D’un côté, ils ont abaissé la qualité des logements (baisse des rangements, quasi-disparition des celliers, des caves, des cuisines fermées, mais aussi des grandes typologies), de l’autre côté, le turn over des locataires ils ont eu des impacts sur les communes et la vie de quartier. Est-ce intéressant, pour un maire de voir partir ses habitants tous les deux à trois ans ? Parallèlement, les copropriétés fortement « pinélisées » ont souffert d’un moindre entretien, les investisseurs rechignant souvent à remettre au pôt pour rénover. Cela explique les difficultés de nombre de copropriétés pour faire voter des travaux et leur dégradation au fil des années.
Les promoteurs privilégient les investisseurs, mais les occupants sont tout de même bien servis ?
Non. Leurs besoins réels ne sont pas assez pris en compte. Quand on prend la peine de les interroger, on se rend compte par exemple que des ménages familiaux ne veulent pas forcément être aux derniers étages avec une terrasse, mais plutôt en rez-de-chaussée, en duplex avec un jardin. On voit aussi apparaître des besoins en T6. Quel promoteur fait du T6 ? Aucun. Toute une partie de la demande des ménages n’est pas adressée, alors que, et c’est là le comble, elle en a les moyens.
Par ailleurs, l’implantation des opérations a évolué. Les investisseurs s’en préoccupent peu, ils n’y habiteront pas et trouveront très certainement un locataire. De fait, les promoteurs ont pu construire dans des zones plus excentrées des centre villes, moins désirables. Tout ceci a produit des externalités négatives, notamment sur le marché de l’emploi : un des principaux freins à l’embauche est la difficulté des personnes à pouvoir se loger près de leur travail.
Le Pinel a agi comme une drogue très addictive pour tout le monde !
Les ménages sont aussi très friands de l’investissement locatif, justement grâce au Pinel…
Oui, il a agi comme une drogue très addictive pour tout le monde. Mais sa disparition est, je le répète, une aubaine. Elle force à se poser les bonnes questions : Qui doit-on privilégier : les investisseurs ou les propriétaires occupants ? Quels logements et quelles villes voulons-nous pour demain ? Nos impôts doivent-ils financer la concentration de la propriété immobilière entre les mains de quelques-uns ?
Le Pinel a empêché l’ensemble de la chaine de réfléchir et d’innover. Et s’il faut aider les investisseurs, il vaut mieux le faire pour la réhabilitation des logements anciens.
Pensez-vous que les promoteurs ne jouent pas le jeu avec le Pinel Plus ?
Ils joueront le jeu car fin 2024 ce sera la condition sine qua non pour une défiscalisation maximale. Et ils auront toujours besoin des investisseurs. La bonne nouvelle, c’est que le Pinel Plus va tirer la qualité des logements vers le haut. La question est alors : n’aurait-il pas été plus simple d’enrichir le code de la construction et de l’habitation en intégrant ses préconisations ? Certains estiment que ce serait compliqué. Peut-être, mais la complexité n’a jamais effrayé nos législateurs. On pourrait alors se passer définitivement du Pinel en travaillant à un véritable statut du bailleur privé. Cela aurait le mérite de la simplicité et de la cohérence, mais aussi l’avantage de répondre à une demande formulée par le secteur depuis longtemps.
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