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Les taux réels sont-ils encore négatifs ?

Considérer que la hausse du PIB en valeur, tiré par l’inflation, offre des marges de manœuvre budgétaires aux Etats pourrait être risqué, avertit Isabelle Job-Bazille, directrice des études économiques, Groupe Crédit Agricole.
Isabelle Job-Bazille
Isabelle Job-Bazille
Isabelle Job-Bazille, directrice des études économiques, Groupe Crédit Agricole.  -  DR

La trajectoire de resserrement monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) est historique eu égard à sa rapidité, avec un taux de refinancement qui, de nul avant l’été 2022, est passé à 2,5% en décembre. Cet ajustement répond à la remontée tout aussi brutale de l’inflation. Laquelle, mesurée par l’indice des prix à la consommation, a atteint des niveaux inédits, avec un point culminant en octobre dernier à 10,6% en zone euro. Ce tour de vis monétaire s’est logiquement traduit par une translation vers le haut de l’ensemble de la courbe des taux. En France, le taux des emprunts d’Etat sur une maturité de dix ans a progressé en un an de 0% à près de 3% fin 2022. Ce renchérissement du coût de la dette publique intervient au moment où les Etats membres mobilisent d’importantes ressources pour amortir le choc inflationniste.

D’ailleurs, les conflits d’objectifs déjà patents, entre une politique monétaire restrictive pour combattre l’inflation et une politique budgétaire expansive à des fins de stabilisation économique, risquent encore de s’aggraver avec l’accumulation supplémentaire de déficits et de dettes publics. Un durcissement monétaire excessif pourrait en effet ranimer les craintes sur la soutenabilité des trajectoires des finances publiques en zone euro. Pourtant, une petite musique s’installe, en France notamment, selon laquelle les marges de manœuvre budgétaires seraient loin d’être épuisées, les taux réels, soit les taux nominaux défalqués de l’inflation, restant ancrés en territoire négatif et très inférieurs au taux de croissance de l’économie.

Pour comprendre, il faut revenir à la question de soutenabilité de la dette – entendue ici comme la capacité de l’Etat à stabiliser sa dette en pourcentage du PIB à un horizon donné – en s’intéressant aux principaux facteurs qui déterminent la dynamique d’endettement. Le stock de dette de l’année N est la somme du stock de l’année passée N-1 augmenté des intérêts payés et du solde primaire (soit la différence entre les recettes et les dépenses hors charges d’intérêts). Lequel, lorsqu’il est négatif, doit être financé par de nouveaux emprunts. Le ratio de dette publique dépend donc du solde primaire rapporté au PIB et du différentiel, nommé écart critique, entre le taux d’intérêt apparent sur la dette et le taux de croissance du PIB. En effet, à supposer un solde primaire nul, l’encours d’endettement, au numérateur, s’accroît chaque année des intérêts servis sur la dette, et le PIB, au dénominateur, progresse au rythme de la croissance économique en valeur. Ainsi, lorsque les taux d’intérêt sont inférieurs à la croissance, un déficit primaire peut permettre de stabiliser le ratio de dette publique alors que dans la configuration inverse, un excédent primaire est nécessaire et sera d’autant plus important que l’écart critique est élevé. Sans quoi le ratio d’endettement augmente de façon mécanique et continue, avec l’apparition d’un effet boule de neige.

Croissance en valeur

Ces dix dernières années, avec la lente décrue des taux d’intérêt, installés durablement en deçà des taux de croissance, il était possible de maintenir des ratios d’endettement élevés, au-delà des 100 %, sans trop s’inquiéter de leur viabilité à moyen terme puisque le poids des dettes pouvait être stabilisé sans grands efforts budgétaires. Le renchérissement rapide du coût de la dette change la donne. Aujourd’hui, l’Etat français emprunte sur une maturité à 10 ans à un taux proche de 3%, qui pourrait continuer de grimper en phase avec la poursuite du resserrement monétaire de la BCE. En 2023, l’économie française devrait faire du quasi-surplace alors que les prix à la consommation devraient progresser en moyenne annuelle, comme en 2022, d’environ 5 %, après un pic attendu proche des 7 % en début d’année. On pourrait conclure hâtivement que les taux d’intérêt restant inférieurs à la croissance en valeur, les conditions financières restent assez souples pour permettre à l’Etat de continuer à soutenir l’économie sans mettre en péril la soutenabilité de sa dette. Ce raisonnement est erroné puisque l’indicateur retenu dans ce calcul rapide est l’indice des prix à la consommation effectivement utilisé, de manière traditionnelle, pour évaluer l’inflation. Cependant, une partie de la hausse actuelle des prix à la consommation résulte du renchérissement des importations d’énergie ou de matières premières agricoles qui, en entraînant un transfert de richesse vers les producteurs étrangers, ponctionne le revenu national. Le déflateur du PIB, qui mesure l’évolution du prix de la valeur ajoutée produite sur le territoire, reflète l’inflation domestique et est donc l’indicateur pertinent à retenir. Or ce déflateur progresse à un rythme deux fois inférieur à celui de l’indice des prix à la consommation, ce qui pourrait vouloir dire des taux réels et un écart entre les taux et la croissance déjà positifs. Le maintien éventuel d’une telle configuration dans la durée doit rimer dès à présent avec une plus grande prudence budgétaire sauf à imaginer comme Olivier Blanchard (1), ancien chef économiste du Fonds monétaire international, que des taux d’intérêt inférieurs à la croissance redeviendront la norme une fois le choc inflationniste passé. Cela reste un pari plus qu’une certitude…

(1) Fiscal Policy under Low Interest Rates, MIT press, janvier 2023.

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